Les quatre compositeurs de l’édition 2016 de l’événement Génération étaient présents au concert que donnait l’Ensemble contemporain de Montréal (ECM+) dimanche dernier en la salle de la Music Gallery à Toronto, dans le cadre d’une tournée pancanadienne. Un concert causerie où le vocaliste, performeur et compositeur Gabriel Dharmoo discutait de leur œuvre avec chacun des créateurs, question d’amadouer les auditeurs à autant de nouveaux mondes. Car nouveaux mondes il y a : quatre voix presque jamais entendues, chacune étant bien particulière.
Symon Henry nous préparait à un monde un peu flou. La partition, sur laquelle nous pouvions jeter un coup d’œil après le concert, est un long dessin horizontal. Les courbes délimitent la hauteur de son, la teinte plus foncée ou plus pâle l’intensité. On remarque au passage que rien ne délimite le rythme. Le résultat est déstabilisant, un peu comme si le plancher glissait sous nos pieds. Même bien assis, le spectateur est instable, « intranquille ». L’ambiance sonore a quelque chose de décadent, un peu fin de siècle et un chouia déprimant. Mais un autre ensemble, d’autres instruments décideraient d’interpréter cette musique et nous aurions un tout autre résultat, une tout autre ambiance. À réentendre sans doute, car même au cours de la tournée, la pièce pourrait bien se modifier selon l’humeur des exécutants.
Dans la même veine, la pièce de Taylor Brook, un concerto pour flûte, faisait usage de micro-tonalité. Ici par contre, la structure de la pièce se faisait mieux sentir et la partition donnait de toute évidence des directions un peu plus claires. Parce qu’il utilise les instruments d’une façon inusité, les musiciens n’ont pas ici la possibilité d’émettre des sons très généreux. Au final, l’ensemble semblait en à-plat, comme si on avait enlevé la troisième dimension.
La pièce de Sabrina Schroeder clôturait le concert de façon presque ironique. La compositrice créé une musique qui imite la musique électronique. Suite de sons sans structure évidente, cette pièce a fait vibrer la salle et visiblement le cœur des spectateurs torontois qui ont chaleureusement applaudi l’œuvre. Tour de force technique que de faire sonner l’ECM+ comme s’il n’était pas là, grande abnégation des musiciens, particulièrement des cordistes, de jouer sur des instruments accordés au plus bas de leur registre, laissant les cordes en mode vibration lente et libre. Cette séduisante pièce s’écoute aisément, on aurait aimé toutefois une ambiance visuelle, un éclairage, ou encore avoir pu déambuler dans la salle pour vivre une expérience plus complète, plus globale.
Le meilleur moment musical de la soirée nous a été offert par Adam Scime. Inspirée par l’architecture, Liminal Pathways a d’abord donné la possibilité à l’ECM+ de sonner de façon extraordinaire. On entendait ici toute la profondeur, la richesse des instruments. Tout à coup, on avait l’impression que le nombre de musiciens avait été multiplié par dix. La partition, minutieusement écrite, ne laisse pas de place à l’improvisation et semble très difficile à exécuter. L’extrême concentration des musiciens instille alors une sorte d’excitation chez l’auditeur. La structure de l’œuvre et l’utilisation plus conventionnelle des instruments rendent également l’abord assez facile pour les mélomanes. Il y a fort à parier que Scime se retrouvera très bientôt à écrire pour orchestre. Il devrait y connaître un certain succès…
S’il me fallait déterminer un gagnant dans cette mouture de Génération 2016, il me semble clair que mon vote irait à l’ECM+ et à sa directrice artistique Véronique Lacroix. Si elle me confiait que la soirée à Toronto avait été particulièrement réussie, force est d’admettre que son ensemble et ce qu’elle en fait est hors-norme en tout temps. S’approprier ainsi le langage de nouveaux compositeurs, en faire une interprétation fidèle, et embarquer le public dans cette aventure relève du miracle. Si les cohortes du projet Génération sont parfois inégales, l’ECM+ demeure toujours au-dessus de la mêlée et sort grand gagnant de ces tournées.
Normand Babin
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Programme
Symon Henry, debout, un respir grand comme
Taylor Brook, Tirant lo Blanc Marie-Hélène Breault, flûtiste solo
Adam Scime, Liminal Pathways
Sabrina Schroeder, Bone-Games-shy garden
ECM+, dirigé par Véronique Lacroix
30 octobre 2016, 20h
The Music Gallery, Toronto