Commande jumelée de l’Ensemble contemporain de Montréal (ECM+) et de l’Orchestre de chambre Appassionata (dirigés respectivement par Véronique Lacroix et Daniel Myssyk), Quimera d’Analia Llugdar sera créée le mercredi 30 mai prochain à 19 h 30, à la salle Pierre-Mercure. Le spectacle donnera l’occasion d’entendre L’Amour sorcier (suite d’orchestre d’après le ballet) de Manuel de Falla et trois œuvres contemporaines d’Analia Llugdar, d’Ana Sokolovic et d’Andrew Staniland, le tout accompagné de vidéos originales de Foumalade d’après un scénario de Matthias Maute. Comme prélude à la création de Llugdar, un temps d’arrêt sur la nouvelle partition avec les commentaires de la compositrice, rencontrée en entrevue.
Connue pour ses œuvres Sentir de cacerolas (2001), Inflexions (2003), Todos los recuerdos presentes envolvian ese sonido y algo me miro (Tous les souvenirs présents enveloppaient ce son et quelque chose me regarda) (2007), Le chêne et le roseau (2005) et Que sommes-nous ? (2008) – ces deux dernières œuvres commandées par l’ECM+ et Véronique Lacroix, instigatrice du présent spectacle –, Analia Llugdar propose ici une œuvre saillante au cœur de laquelle se trouvent deux artistes. D’abord, Manuel de Falla, compositeur auquel l’ECM+ rend hommage en réinterprétant le ballet pantomime L’Amour sorcier (1915). De la musique de ce compositeur, Llugdar a notamment en tête sa musique de piano, souvent écoutée dans les interprétations d’Alicia de la Rocha. Ensuite, le poète espagnol Rafael Alberti, membre du groupe de la Génération de 27 et auteur du recueil Sobre los ángeles (1927-1928) dans lequel se trouve le poème Invitation al aire, choisi par la compositrice. La première strophe donne l’idée du ton : « Te invito, sombra, al aire/Sombra de veinte siglos/a la verdad del aire/del aire, aire, aire. » (Je t’invite, ombre, à l’air/Ombre de vingt siècles/à la vérité de l’air/de l’air, de l’air, de l’air). Ainsi, Quimera s’articule à partir d’un souvenir d’enfance. De Falla a vécu les dernières années de sa vie en Argentine – pays d’origine d’Analia Llugdar –, Alberti aussi puisqu’il s’y est exilé. Dans la ville d’Alta Gracia, où a habité de Falla, Llugdar a visité sa maison avec un groupe d’enfants alors qu’elle était petite. Comme souvenir de ce voyage, elle a rapporté un cheval bleu qui, d’apparence anodine, sert aujourd’hui de lien à tout un réseau d’idées.
Quimera [Chimère]. Fort, éclatant. Chimère de l’existence. Chimère de l’amour. Quantité de sens que ce mot recèle : animal mythique, fantasme, illusion, imagination, utopie. Poésie/poïétique. Humour noir, intégration totale… rappel d’une époque. Chimère d’entrer dans la maison musée Manuel de Falla et de discuter là avec les deux artistes – Falla et Alberti – qui s’y sont apparemment rencontrés (http://www.monnuage.fr/point-d-interet/musee-manuel-de-falla-a112051). Catalogue d’idées. Le rouge et le noir de l’Espagne dans les vidéos de Foumalade (projetées sur grand écran), la force identitaire espagnole, la fougue, le surréalisme, l’humanité. Voilà tout un monde aussi bien que l’imaginaire auquel se rapporte la chimère d’Analia Llugdar. D’une main de maître, la compositrice y présente toute une succession d’idées guidée par l’instinct qui l’anime dans la fabrication de sons.
L’écriture inventive orchestrée avec le raffinement de Ravel semble d’emblée garder de la musique hispanique la mémoire de son accentuation typée et de son frétillement incessant. Sur ce fond, l’apposition de traits, comme dans le surréalisme, vient marquer la première partie de l’œuvre. Dans un mouvement continu en accelerando, les événements musicaux hétéroclites découlent l’un de l’autre comme une suite de scènes du cinéaste Luis Buñuel, aussi un maître pour la musicienne. Accords marqués, motifs dominants, mélodies de timbres comme dans une partition pointilliste et duos inusités. Llugdar se voit artisane de timbres dans son geste créateur, en inventant des sonorités comme celle créée par le duo piano/contrebasse au tout début de l’œuvre. Le piano sonne dans le registre grave avec les cordes étouffées, floues et dans un mouvement irrégulier de façon à ce que ni les hauteurs ni l’origine du timbre ne soient perceptibles. La contrebasse se marie à ces sons pianistiques, créant un mouvement sourd comme celui qui viendrait du fond de la Terre. Ailleurs, prennent placent le hautbois et le violoncelle dans un jeu de nuances avec deux cymbales. Crescendos et decrescendos alternés. La cymbale est jouée avec un archet inusité qui consiste en une tige de métal avec des rainures (de la quincaillerie) et une corde de guitare. La corde fait vibrer les cymbales, puis une couche sonore d’harmoniques se crée. Les sons du violoncelle et du hautbois s’en détachent et, de cet amalgame, une couleur inventée s’entend.
Dans la deuxième partie de l’œuvre, la mezzo-soprano fait son entrée avec la poésie de Rafael Alberti. Tout semble s’arrêter. La chanteuse y déploie la sensibilité de l’être, seule au milieu d’un monde qui lui paraît loin. À partir de ce moment, la clarinette basse souffle tantôt un contre-chant, tantôt une ligne frêle qui vient accentuer la solitude de l’être qu’incarne la chanteuse au sein de vestiges. La clarinette basse complète, tient, aide la chanteuse à monter vers l’aigu avant qu’elles ne redescendent toutes deux. Le timbre de l’instrument, tel un vestige de la mezzo-soprano, agrandit son geste. Tragédie ? Apocalypse ? Non. Analia Llugdar nous propose ici un regard réflexif sur la création dans le temps.
Analia Llugdar travaille actuellement à composer la musique d’un ballet, Juana, qui sera créé en collaboration avec Compagnie Humaine (sud de la France), dirigée par Éric Oberdorff. Cinq Jeanne de l’histoire s’y croiseront avec chacune leur univers sonore. Après, Llugdar souhaite s’attarder à la création d’un opéra sur un texte italien intitulé Appena prima Appena doppo, qu’elle a commandé à l’auteure Ana Candida de Carvalho Carneiro. Enfin, se trouve aussi en chantier une œuvre en collaboration avec Quasar et la plasticienne Carole Simard-Laflamme autour d’une majestueuse Robe cathédrale, qui prendra place au Musée des beaux-arts de Montréal. Observation de l’architecture, des matériaux utilisés. Composition.
Commande jumelée de l’Ensemble contemporain de Montréal (ECM+) et de l’Orchestre de chambre Appassionata (dirigés respectivement par Véronique Lacroix et Daniel Myssyk), Quimera d’Analia Llugdar sera créée le mercredi 30 mai prochain à 19 h 30, à la salle Pierre-Mercure. Le spectacle donnera l’occasion d’entendre L’Amour sorcier (suite d’orchestre d’après le ballet) de Manuel de Falla et trois œuvres contemporaines d’Analia Llugdar, d’Ana Sokolovic et d’Andrew Staniland, le tout accompagné de vidéos originales de Foumalade d’après un scénario de Matthias Maute. Comme prélude à la création de Llugdar, un temps d’arrêt sur la nouvelle partition avec les commentaires de la compositrice, rencontrée en entrevue.
Connue pour ses œuvres Sentir de cacerolas (2001), Inflexions (2003), Todos los recuerdos presentes envolvian ese sonido y algo me miro (Tous les souvenirs présents enveloppaient ce son et quelque chose me regarda) (2007), Le chêne et le roseau (2005) et Que sommes-nous ? (2008) – ces deux dernières œuvres commandées par l’ECM+ et Véronique Lacroix, instigatrice du présent spectacle –, Analia Llugdar propose ici une œuvre saillante au cœur de laquelle se trouvent deux artistes. D’abord, Manuel de Falla, compositeur auquel l’ECM+ rend hommage en réinterprétant le ballet pantomime L’Amour sorcier (1915). De la musique de ce compositeur, Llugdar a notamment en tête sa musique de piano, souvent écoutée dans les interprétations d’Alicia de la Rocha. Ensuite, le poète espagnol Rafael Alberti, membre du groupe de la Génération de 27 et auteur du recueil Sobre los ángeles (1927-1928) dans lequel se trouve le poème Invitation al aire, choisi par la compositrice. La première strophe donne l’idée du ton : « Te invito, sombra, al aire/Sombra de veinte siglos/a la verdad del aire/del aire, aire, aire. » (Je t’invite, ombre, à l’air/Ombre de vingt siècles/à la vérité de l’air/de l’air, de l’air, de l’air). Ainsi, Quimera s’articule à partir d’un souvenir d’enfance. De Falla a vécu les dernières années de sa vie en Argentine – pays d’origine d’Analia Llugdar –, Alberti aussi puisqu’il s’y est exilé. Dans la ville d’Alta Gracia, où a habité de Falla, Llugdar a visité sa maison avec un groupe d’enfants alors qu’elle était petite. Comme souvenir de ce voyage, elle a rapporté un cheval bleu qui, d’apparence anodine, sert aujourd’hui de lien à tout un réseau d’idées.
Quimera [Chimère]. Fort, éclatant. Chimère de l’existence. Chimère de l’amour. Quantité de sens que ce mot recèle : animal mythique, fantasme, illusion, imagination, utopie. Poésie/poïétique. Humour noir, intégration totale… rappel d’une époque. Chimère d’entrer dans la maison musée Manuel de Falla et de discuter là avec les deux artistes – Falla et Alberti – qui s’y sont apparemment rencontrés (http://www.monnuage.fr/point-d-interet/musee-manuel-de-falla-a112051). Catalogue d’idées. Le rouge et le noir de l’Espagne dans les vidéos de Foumalade (projetées sur grand écran), la force identitaire espagnole, la fougue, le surréalisme, l’humanité. Voilà tout un monde aussi bien que l’imaginaire auquel se rapporte la chimère d’Analia Llugdar. D’une main de maître, la compositrice y présente toute une succession d’idées guidée par l’instinct qui l’anime dans la fabrication de sons.
L’écriture inventive orchestrée avec le raffinement de Ravel semble d’emblée garder de la musique hispanique la mémoire de son accentuation typée et de son frétillement incessant. Sur ce fond, l’apposition de traits, comme dans le surréalisme, vient marquer la première partie de l’œuvre. Dans un mouvement continu en accelerando, les événements musicaux hétéroclites découlent l’un de l’autre comme une suite de scènes du cinéaste Luis Buñuel, aussi un maître pour la musicienne. Accords marqués, motifs dominants, mélodies de timbres comme dans une partition pointilliste et duos inusités. Llugdar se voit artisane de timbres dans son geste créateur, en inventant des sonorités comme celle créée par le duo piano/contrebasse au tout début de l’œuvre. Le piano sonne dans le registre grave avec les cordes étouffées, floues et dans un mouvement irrégulier de façon à ce que ni les hauteurs ni l’origine du timbre ne soient perceptibles. La contrebasse se marie à ces sons pianistiques, créant un mouvement sourd comme celui qui viendrait du fond de la Terre. Ailleurs, prennent placent le hautbois et le violoncelle dans un jeu de nuances avec deux cymbales. Crescendos et decrescendos alternés. La cymbale est jouée avec un archet inusité qui consiste en une tige de métal avec des rainures (de la quincaillerie) et une corde de guitare. La corde fait vibrer les cymbales, puis une couche sonore d’harmoniques se crée. Les sons du violoncelle et du hautbois s’en détachent et, de cet amalgame, une couleur inventée s’entend.
Dans la deuxième partie de l’œuvre, la mezzo-soprano fait son entrée avec la poésie de Rafael Alberti. Tout semble s’arrêter. La chanteuse y déploie la sensibilité de l’être, seule au milieu d’un monde qui lui paraît loin. À partir de ce moment, la clarinette basse souffle tantôt un contre-chant, tantôt une ligne frêle qui vient accentuer la solitude de l’être qu’incarne la chanteuse au sein de vestiges. La clarinette basse complète, tient, aide la chanteuse à monter vers l’aigu avant qu’elles ne redescendent toutes deux. Le timbre de l’instrument, tel un vestige de la mezzo-soprano, agrandit son geste. Tragédie ? Apocalypse ? Non. Analia Llugdar nous propose ici un regard réflexif sur la création dans le temps.
Analia Llugdar travaille actuellement à composer la musique d’un ballet, Juana, qui sera créé en collaboration avec Compagnie Humaine (sud de la France), dirigée par Éric Oberdorff. Cinq Jeanne de l’histoire s’y croiseront avec chacune leur univers sonore. Après, Llugdar souhaite s’attarder à la création d’un opéra sur un texte italien intitulé Appena prima Appena doppo, qu’elle a commandé à l’auteure Ana Candida de Carvalho Carneiro. Enfin, se trouve aussi en chantier une œuvre en collaboration avec Quasar et la plasticienne Carole Simard-Laflamme autour d’une majestueuse Robe cathédrale, qui prendra place au Musée des beaux-arts de Montréal. Observation de l’architecture, des matériaux utilisés. Composition.