Quatre compositeurs, huit villes, un périple de onze jours; une occasion unique de s’approprier la musique d’aujourd’hui autrement. De la soixantaine de dossiers déposés, quatre se sont détachés, des personnalités distinctes, fortes, qui ont en commun la maîtrise de leurs langages respectifs. « Cette édition Génération 2012 en est une de contrastes extrêmes », résume la directrice artistique de l’ECM+ de Banff, entre deux répétitions.
Celle qui aime autant défricher des partitions originales qu’en transmettre l’essence en concert admet que le travail avec de jeunes compositeurs comporte sa part de défis, mais que rien ne peut surpasser le plaisir de découvrir une nouvelle voix. « Il y a quelque chose de beau à être témoin d’un artiste en train de découvrir son style musical, souligne-t-elle. La lecture de la notation n’est généralement pas ambiguë, mais les nuances, les articulations, la marge d’interprétation est très grande. » Une première période d’apprivoisement a permis l’année dernière d’échanger des informations, de réfléchir aux angles d’interprétation du matériel composé pour les ateliers, de réagir à certains gestes, d’établir un dialogue, d’ériger des balises. « Un compositeur d’expérience a développé un langage musical qui s’impose de lui-même et vous orientera tout de suite vers ce qui mènera au succès de sa pièce, parce qu’il l’a vécu avec plusieurs autres interprètes et a fini par tirer un certain nombre de conclusions. Le jeune compositeur ne dispose pas encore de ces trucs, il faut donc les découvrir avec lui ou elle. C’est une zone à haut risque, mais cela fait partie du charme! »
Une fois les intentions du compositeur décortiquées, cela exige parfois de clarifier la notation de la partition, histoire de ne pas perdre de temps précieux en répétition. « La musique possède une notation assez sophistiquée, qui peut être extrêmement précise. Pour le musicien, c’est tout ce qu’il a entre les mains; c’est le plan de la carte au trésor. Quand la carte date de trois siècles et qu’il ne reste que les os du pirate qui l’a dessinée, on ne peut pas faire grand-chose, mais dans ce cas-ci, le compositeur est présent. » Un compositeur, même aguerri, ne pourra évidemment pas tout transmettre dans la partition. « La conversation, les échanges feront la différence entre une interprétation qui inclura ce qui apparaît entre les lignes. J’ai toujours dit que j’ai uniquement besoin de voir le compositeur écouter sa pièce. Son langage corporel me donne 60 % de l’information dont j’ai besoin. Un regard et je pourrai formuler ce qu’il dira. À travers quelques échanges – une répétition suffit généralement –, j’arriverai à une assez bonne lecture des intentions du compositeur. Quand ils s’expriment, certains compositeurs sont adroits, élégants, psychologues, d’autres plus malhabiles. Il s’agit de trouver un terrain d’entente, de développer un vocabulaire permettant d’exprimer les choses qui n’étaient pas dans la partition. »
Véronique Lacroix s’emballe quand elle évoque les quatre œuvres proposées cette année. Annesley Black, très jouée en Europe, souhaitait intégrer un thème « canadien », qui rallierait aussi bien les publics de Toronto que de Vancouver, et s’est donc approprié le curling avec Jenny’s Last Rock. La partition intègre des enregistrements effectués au club de curling Land O’ the Lakes, des extraits d’entrevue avec un passionné de curling amateur et trois échantillons différents d’un même lancer par la championne canadienne Jennifer Jones, éléments qui se marient à des enregistrements de musiciens tentant de recréer l’univers sonore du curling. Ce matériau source permettra l’érection d’un contrepoint délicat, les musiciens « jouant » du magnétophone dans des rythmes complexes, asymétriques, se juxtaposant aux transcriptions instrumentales et à des structures temporelles. « Cette femme-là est extraordinaire. Elle nous fait faire des choses que nous n’avions jamais faites; nous sommes complètement à l’aventure, précise Véronique Lacroix. Elle fait vivre aux musiciens et par le fait même aux auditeurs une expérience de sport extrême! »
Le langage musical du jeune compositeur d’origine estonienne Riho Esko Maimets, qui étudie au prestigieux Curtis Institute of Music de Philadelphie, ne pourrait être plus éloigné. « Quand j’ai composé Beatitude, j’étais – et je le suis toujours – relativement obsédé par les tragédies humaines à travers l’histoire et cette capacité qu’a l’humanité à les surmonter, explique-t-il dans sa note de programme. Je crois que la beauté de la musique peut parfois être si puissante qu’elle peut nous consoler d’une manière indiciblement profonde. » Certains seront peut-être tentés d’établir des parallèles entre la structure formelle de cette œuvre concertante pour violon (dont la soliste sera Véronique Mathieu) et Les Quatre Saisons, mais Véronique Lacroix souligne par ailleurs que Maimets possède un charisme musical réel et est destiné à un brillant avenir.
Dans Animaris Currens Ventosa, Marielle Groven s’est quant à elle inspirée des étonnantes sculptures de Theo Jansen, des énormes « Strandbeests » (animaux de plage) construits à partir de matériaux recyclés, qui se meuvent à l’aide de l’énergie éolienne. « Comment le sort d’un organisme, dont la principale source d’énergie (le vent) et dont le créateur (l’humanité) menacent également sa survie, peut résonner avec l’état de fragilité de notre propre existence? J’ai voulu capter l’incroyable force au sein de cette fragilité, cette tension qui ne fait que tenir leurs structures squelettiques intactes, dans le son », explique Groven. Cet état suspendu, entre densité et vide, n’a pas été atteint spontanément. Il fallait d’abord que la chef réalise que la compositrice cherchait d’une certaine façon à transmettre le bruissement du vent qui s’infiltre dans les membres de ces bêtes mythiques.
Si le langage de Gabriel Dharmoo, à qui l’ECM+ a déjà passé trois commandes, s’est révélé plus facile à décrypter, Véronique Lacroix a quand même refusé de se fier à ses acquis pour Ninaivanjali (expression tamoule signifiant « à la mémoire de »), une œuvre en hommage au virtuose du ghatam N. Govindarajan, mort en mai 2012, et qui fut le professeur de rythmique indienne du compositeur. « Gabriel possède une attitude extraordinaire et il est très facile de travailler avec lui, souligne la chef. Si j’avais eu tendance à m’installer, sa nouvelle griffe aurait réveillé en moi mes antennes, parce qu’il a bien sûr évolué. J’ai été surprise de découvrir des accents de jazz dans sa musique, un groove, étonnant mariage avec la musique hindoue. »
Lors des concerts, le compositeur et animateur Nicolas Gilbert partagera la scène avec Véronique Lacroix et les dix musiciens de l’ECM+, afin de guider l’écoute des auditeurs. À la fin du concert, un vote suivra pour l’attribution du Prix du public Génération 2012, assorti d’une bourse de 1500 $ et d’une commande de l’ensemble Paramirabo.
Quatre compositeurs, huit villes, un périple de onze jours; une occasion unique de s’approprier la musique d’aujourd’hui autrement. De la soixantaine de dossiers déposés, quatre se sont détachés, des personnalités distinctes, fortes, qui ont en commun la maîtrise de leurs langages respectifs. « Cette édition Génération 2012 en est une de contrastes extrêmes », résume la directrice artistique de l’ECM+ de Banff, entre deux répétitions.
Celle qui aime autant défricher des partitions originales qu’en transmettre l’essence en concert admet que le travail avec de jeunes compositeurs comporte sa part de défis, mais que rien ne peut surpasser le plaisir de découvrir une nouvelle voix. « Il y a quelque chose de beau à être témoin d’un artiste en train de découvrir son style musical, souligne-t-elle. La lecture de la notation n’est généralement pas ambiguë, mais les nuances, les articulations, la marge d’interprétation est très grande. » Une première période d’apprivoisement a permis l’année dernière d’échanger des informations, de réfléchir aux angles d’interprétation du matériel composé pour les ateliers, de réagir à certains gestes, d’établir un dialogue, d’ériger des balises. « Un compositeur d’expérience a développé un langage musical qui s’impose de lui-même et vous orientera tout de suite vers ce qui mènera au succès de sa pièce, parce qu’il l’a vécu avec plusieurs autres interprètes et a fini par tirer un certain nombre de conclusions. Le jeune compositeur ne dispose pas encore de ces trucs, il faut donc les découvrir avec lui ou elle. C’est une zone à haut risque, mais cela fait partie du charme! »
Une fois les intentions du compositeur décortiquées, cela exige parfois de clarifier la notation de la partition, histoire de ne pas perdre de temps précieux en répétition. « La musique possède une notation assez sophistiquée, qui peut être extrêmement précise. Pour le musicien, c’est tout ce qu’il a entre les mains; c’est le plan de la carte au trésor. Quand la carte date de trois siècles et qu’il ne reste que les os du pirate qui l’a dessinée, on ne peut pas faire grand-chose, mais dans ce cas-ci, le compositeur est présent. » Un compositeur, même aguerri, ne pourra évidemment pas tout transmettre dans la partition. « La conversation, les échanges feront la différence entre une interprétation qui inclura ce qui apparaît entre les lignes. J’ai toujours dit que j’ai uniquement besoin de voir le compositeur écouter sa pièce. Son langage corporel me donne 60 % de l’information dont j’ai besoin. Un regard et je pourrai formuler ce qu’il dira. À travers quelques échanges – une répétition suffit généralement –, j’arriverai à une assez bonne lecture des intentions du compositeur. Quand ils s’expriment, certains compositeurs sont adroits, élégants, psychologues, d’autres plus malhabiles. Il s’agit de trouver un terrain d’entente, de développer un vocabulaire permettant d’exprimer les choses qui n’étaient pas dans la partition. »
Véronique Lacroix s’emballe quand elle évoque les quatre œuvres proposées cette année. Annesley Black, très jouée en Europe, souhaitait intégrer un thème « canadien », qui rallierait aussi bien les publics de Toronto que de Vancouver, et s’est donc approprié le curling avec Jenny’s Last Rock. La partition intègre des enregistrements effectués au club de curling Land O’ the Lakes, des extraits d’entrevue avec un passionné de curling amateur et trois échantillons différents d’un même lancer par la championne canadienne Jennifer Jones, éléments qui se marient à des enregistrements de musiciens tentant de recréer l’univers sonore du curling. Ce matériau source permettra l’érection d’un contrepoint délicat, les musiciens « jouant » du magnétophone dans des rythmes complexes, asymétriques, se juxtaposant aux transcriptions instrumentales et à des structures temporelles. « Cette femme-là est extraordinaire. Elle nous fait faire des choses que nous n’avions jamais faites; nous sommes complètement à l’aventure, précise Véronique Lacroix. Elle fait vivre aux musiciens et par le fait même aux auditeurs une expérience de sport extrême! »
Le langage musical du jeune compositeur d’origine estonienne Riho Esko Maimets, qui étudie au prestigieux Curtis Institute of Music de Philadelphie, ne pourrait être plus éloigné. « Quand j’ai composé Beatitude, j’étais – et je le suis toujours – relativement obsédé par les tragédies humaines à travers l’histoire et cette capacité qu’a l’humanité à les surmonter, explique-t-il dans sa note de programme. Je crois que la beauté de la musique peut parfois être si puissante qu’elle peut nous consoler d’une manière indiciblement profonde. » Certains seront peut-être tentés d’établir des parallèles entre la structure formelle de cette œuvre concertante pour violon (dont la soliste sera Véronique Mathieu) et Les Quatre Saisons, mais Véronique Lacroix souligne par ailleurs que Maimets possède un charisme musical réel et est destiné à un brillant avenir.
Dans Animaris Currens Ventosa, Marielle Groven s’est quant à elle inspirée des étonnantes sculptures de Theo Jansen, des énormes « Strandbeests » (animaux de plage) construits à partir de matériaux recyclés, qui se meuvent à l’aide de l’énergie éolienne. « Comment le sort d’un organisme, dont la principale source d’énergie (le vent) et dont le créateur (l’humanité) menacent également sa survie, peut résonner avec l’état de fragilité de notre propre existence? J’ai voulu capter l’incroyable force au sein de cette fragilité, cette tension qui ne fait que tenir leurs structures squelettiques intactes, dans le son », explique Groven. Cet état suspendu, entre densité et vide, n’a pas été atteint spontanément. Il fallait d’abord que la chef réalise que la compositrice cherchait d’une certaine façon à transmettre le bruissement du vent qui s’infiltre dans les membres de ces bêtes mythiques.
Si le langage de Gabriel Dharmoo, à qui l’ECM+ a déjà passé trois commandes, s’est révélé plus facile à décrypter, Véronique Lacroix a quand même refusé de se fier à ses acquis pour Ninaivanjali (expression tamoule signifiant « à la mémoire de »), une œuvre en hommage au virtuose du ghatam N. Govindarajan, mort en mai 2012, et qui fut le professeur de rythmique indienne du compositeur. « Gabriel possède une attitude extraordinaire et il est très facile de travailler avec lui, souligne la chef. Si j’avais eu tendance à m’installer, sa nouvelle griffe aurait réveillé en moi mes antennes, parce qu’il a bien sûr évolué. J’ai été surprise de découvrir des accents de jazz dans sa musique, un groove, étonnant mariage avec la musique hindoue. »
Lors des concerts, le compositeur et animateur Nicolas Gilbert partagera la scène avec Véronique Lacroix et les dix musiciens de l’ECM+, afin de guider l’écoute des auditeurs. À la fin du concert, un vote suivra pour l’attribution du Prix du public Génération 2012, assorti d’une bourse de 1500 $ et d’une commande de l’ensemble Paramirabo.