Sans tambour ni trompette, le projet Génération instauré par l’ECM+ en est cette année à sa quatorzième édition. Un projet qui a très souvent vu juste et qui a de l’oreille. Depuis 1998, une grande partie des compositeurs ayant été sélectionnés pour ce concours connaissent aujourd’hui une brillante carrière. Depuis l’an 2000, le projet Génération fait l’objet d’une tournée pancanadienne, ce qui offre à la fois une grande visibilité aux compositeurs et une rare occasion d’entendre leur œuvre interprétée à plusieurs reprises.
Qu’est-ce qui anime la cohorte 2016 ? Quelles sont les motivations à composer aujourd’hui ? En quoi ces compositeurs espèrent-ils faire leur marque ? J’ai pensé laisser parler les compositeurs, les laisser nous présenter leur travail, espérant, de cette façon, nous offrir non seulement un avant-goût mais surtout nous donner l’irrépressible désir de courir les entendre.
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Taylor Brook
À la guitare, son premier instrument, Taylor Brook s’est d’abord amusé à triturer, à enrichir la note, à tenter d’atteindre l’effet blue note, ce qui a eu un double impact sur ses recherches ultérieures : d’abord, un intérêt marqué pour la microtonalité, pour l’entre-deux notes, nous proposant ainsi de nouveaux tempéraments ; puis, en parallèle, il s’attarde à remettre en question les techniques instrumentales, pour en venir à créer de nouvelles façons d’utiliser un instrument de musique, là encore, en imaginant l’évolution technique qui aurait pu avoir lieu. Créant une histoire des possibles et une réalité alternative.
Il se réclame du travail de Harry Partch, compositeur et constructeur d’instruments de musique américain du XXe siècle. À ses yeux, la création d’une œuvre musicale se doit d’inventer son propre langage et ses propres moyens pour le diffuser. Une approche holistique, donc globale, qui fait de la création de chacune de ses œuvres une redéfinition de la musique en tant que telle.
C’est donc en toute logique que la pièce qu’il présente, Tirant lo Blanc, tire son titre d’un des premiers exemples d’uchronie. Tirant lo Blanc est le titre et le sujet d’un roman du XVe siècle racontant ce qui aurait pu se passer dans le cours de l’Histoire. Une alternative à l’Histoire officielle. Le compositeur questionne ici le tempérament, la technique instrumentale, la structure et l’expression musicale, voire le but social de la musique. Une nouvelle, et personnelle tradition prend place devant nos yeux et nos oreilles.
Symon Henry
Voilà un compositeur qui pourrait sembler hésiter entre poésie, dessin et peinture, performances in-situ et composition. Il n’en est rien. Symon Henry cherche, et semble trouver, à bâtir une œuvre globale où tous ses moyens créatifs forment symbiose. Il a connu au cours des derniers mois de grands succès : la parution d’un livre de poésie, une exposition qui s’est promenée au Québec et en Europe, la création d’un micro-opéra et surtout un concert majeur avec l’orchestre symphonique de Québec pour l’inauguration du Pavillon Lassonde du Musée national des beaux-arts du Québec. Mais son plus grand succès personnel viendra peut-être avec debout, un respir grand comme. Le grand nombre d’heures de travail avec l’ECM+, les discussions avec les musiciens et avec Véronique Lacroix, le rendent assez confiant sur son travail : il a donc décidé de faire un grand saut. Cette fois-ci, il n’y aura pas d’autre aspect que sonore lors de la présentation de sa pièce. Jusqu’ici, l’auditeur pouvait suivre (et admirer) la partition graphique. Celle-ci étant placée sur les murs, ou peinte directement sur des surfaces extérieures créant des œuvres déambulatoires pouvant être interprétées par qui le veut. Il propose aujourd’hui de nous donner l’œuvre à son état pur, sans compromis, mais aussi sans distraction. Car- voyez dans l’image jointe -, la partition est certes aussi belle à voir qu’à entendre. debout, un respir grand comme est construite comme un poème, est écrite comme un grand dessin au fusain et sera interprétée comme la tradition l’entend !
debout, un respir grand comme, Symon Henry, graphique 1 de 48
Sabrina Schroeder
Fascinée dès l’enfance par un livre qui montrait le monde sous l’œil d’un microscope, Sabrina Schroeder travaille aujourd’hui le son dans toutes ses couches. Pour elle, le son est beaucoup plus que ce que nos oreilles perçoivent. La fibre du son, en partie dévoilée et altérée par les transducteurs qu’elles placent sur certains instruments, révèle des liens parfois insoupçonnés entre différents sons provenant de différentes sources. Ces transducteurs, convertisseurs de signaux, seront placés dans le piano et sur des instruments de percussions. Ils font un travail qui, à première écoute, pourrait sembler électronique, une diffraction du son qui ne sera pas simplement entendue mais aussi ressentie. Plus simplement : un son ne peut-il pas altérer nos pulsations cardiaques, nos secousses nerveuses ? Comparant son travail à ce qu’on peut voir de la vie, de la société, la compositrice décortique le son pour y découvrir des « gènes » apparentés à ceux de sons qui semblent parfois à l’autre bout du spectre, créant ainsi des liens insoupçonnés. Comme dans la société, les liens unissant les individualités sont parfois bien cachés sous des couches profondes de dissemblances.
Sabrina Schroeder multiplie les projets entre autres pour le International Contemporary Ensemble (New York/Chicago) et aura une œuvre jouée à la 48ème édition du prestigieux Internationale Ferienkurse fur Neue Musik à Darmstadt commandée par le Distractfold Ensemble du Royaume-Uni. Mais Bone Games-shy garden, l’œuvre présentée dans le cadre de Génération 2016 revêtira un caractère particulier, car la compositrice aura la chance de l’entendre à plusieurs reprises dans des lieux et acoustiques différents. Ce qui, on l’imagine, ravira la crack du son qu’elle est.
Adam Scime
Interprète accompli, le compositeur torontois aborde la composition musicale de façon organique. On ne parle pas ici de concepts philosophiques mais plutôt d’affect, de « dramaturgie instrumentale ». Adam Scime dit créer une musique à partir d’une gestuelle, à l’image du peintre. Une relation avec l’auditeur s’établit dès la première note, le but étant de faire réfléchir non seulement à ce qui se passe dans la musique, mais aussi à la façon dont celui qui l’écoute y réagit. Une telle interaction est sous-jacente à toute musique. L’auditeur s’approprie ce qui lui convient et le transforme en une partie de lui-même. L’interprète se prête également à ce jeu. Est-il possible de réunir, dans un seul élan unanime tous les intervenants du concert (compositeur, interprètes, chef et auditeurs) et de créer un mouvement unique sur les plans tant physique qu’émotionnel ? Est-il possible d’aboutir à une expérience collective comparable à celle des musiques pop avec une musique qui ne l’est pas ?
Les chances de succès en ce sens pour Liminal Pathways, d’Adam Scime sont en tout cas multipliées encore une fois par les conditions plutôt exceptionnelles de présentation de l’œuvre, en ce qu’elle est répétée et jouée plusieurs fois. La cohésion entre musiciens devrait plus aisément contribuer à emporter l’adhésion des auditeurs.
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La tournée Génération 2016 s’est amorcée par une session de travail au Centre d’arts de Banff et fera le tour des grandes villes canadiennes d’ici le 3 novembre prochain (voir plus bas). Encore une fois, les musiciens de l’ECM+ et leur dynamique directrice musicale, Véronique Lacroix, défendront ces quatre partitions comme si leur vie en dépendait. Mais au fond, n’en dépendent-elles pas ?
normand babin
collaboration spéciale
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TOURNÉE CANADIENNE 2016 de Génération 2016 de l’ECM+
MONTRÉAL
27 octobre, 19h30
Salle de concert du Conservatoire
4750, Henri-Julien | Accès métro Mont-Royal
Billets : 26,50$ / 15,00$ / 13,50 $ / 11,50$
Infos : 514 524-0173 | info@ecm.qc.ca | www.ecm.qc.ca
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BANFF
20 octobre, 19h30
Rolston Recital Hall
The Banff Centre
EDMONTON
21 octobre, 20h
Convocation Hall
University of Alberta
VICTORIA
24 octobre, 20h
Phillip T. Young Recital Hall
University of Victoria
VANCOUVER
25 octobre, 20h
Orpheum Annex
TORONTO
30 octobre, 20h
The Music Gallery – Church of Saint
George the Martyr
LONDON
31 octobre, 20h
Von Kuster Hall Western University
OTTAWA
1er novembre, 20h
Studio du Centre national des Arts
QUÉBEC
3 novembre, 19h30
Espace Hypéron