« … D’offrir une expérience artistique transformatrice impliquant un ensemble de première classe avec les meilleurs musiciens de Vancouver, une musique exceptionnelle du dernier siècle et demi, et des artistes et créateurs d’une multitude de disciplines. » Ouf ! Voilà ce que promet, en 36 mots, le Turning Point Ensemble pour sa 10e saison d’existence. Établi à Vancouver, les 16 musiciens de ce grand ensemble de chambre sont impatiemment attendus à Montréal, le mardi 20 octobre prochain, pour ouvrir la saison de l’ECM+. « Nous croyons que vous ne serez pas déçus! », disent-ils. D’emblée, j’ai des raisons de croire qu’ils disent vrai.
...Et les oiseaux chantent Halleluia!, le titre du concert, reprend l’intitulé d’une pièce écrite par Ana Sokolović. Le titre de cette commande créée par le Turning Point Ensemble en 2014 n’est pas sans rappeler la poésie de Godspeed You! Black Emperor. Toutefois, la musique fait plutôt référence à la musique d’Ekatarina Velika, l’un des plus importants groupes de rock de Yougoslavie, dont la compositrice est originaire. Dans une entrevue accordée en mars 2014 au Georgia Straight, Sokolović s’explique. « Pour toute une génération de jeunes yougoslaves éduquées, ce groupe représentait la culture et les rêves des Balkans. Nous souhaitions une meilleure vie, pour nous-mêmes, mais aussi pour l’ensemble de la planète. Je reprends des éléments de deux de leurs chansons, des modes, des extraits et des mélodies. » À travers cet « échantillonnage acoustique », la compositrice ne souhaite pas faire du Turning Point Ensemble des rock-stars, mais plutôt partager l’énergie du rock, la rapidité, le goût pour la danse et la vie… en somme, le caractère des Balkans!
Parmi les autres pièces que l’ensemble interprétera sous la baguette du chef Owen Underhill, on retrouve Three Windows de Dorothy Chang. Bariolée, cette symphonie pour ensemble de musique chambre est une tapisserie musicale finement tissée, et chacun des trois mouvements isolent un élément de panorama du Pacifique, vu de Vancouver : nuages, ciel et eau, perspective solitaire d’un aigle et rythme de la vie urbaine. Dans le 1er mouvement, les montées et descentes des instruments s’enchevêtrent tel des courants colorés, quelque peu impressionnistes, surtout mélodieux. Très rapidement, je constate la clarté de l’enregistrement et la qualité de l’interprétation que j’entends. Chance! Il s’agit d’une interprétation du Turning Point Ensemble, qui avait également commandé l’œuvre. Le deuxième mouvement est d’une douce amertume. L’écriture est fragile, fine. Un joli mouvement, assurément. Le mouvement final est plus rapide et plus rythmé, avec ses percussions musclées et ses accents de cuivre. Une belle pièce en perspective pour la soirée d’ouverture.
À l’opposé, la compositrice Jocelyn Morlock semble plutôt faire dans la dentelle! Luft, de l’allemand « air », est le titre d’une pièce de musique ayant accompagné la chorégraphie de Simone d’Orlando pour le spectacle de ballet moderne du même nom. La musique a été retravaillée en une forme concert d’une dizaine de minutes. Tel qu’entendu dans la capsule annonçant le concert, Luft semble être une musique délicate et légère, un peu à l’image des corps des danseurs suspendus dans les airs. Bras, jambes, cous et torses se plient et se contorsionnent, comme une plume au gré du vent. En réalité, la musique est jalonnée de passages énergiques, voire frénétiques, à l’image d’un « oiseau de feu » se débattant. D’ailleurs un ballet de Stravinsky aurait ouvertement servi d’inspiration pour Luft. À défaut de voir 5 danseurs apparaître sur la scène de la salle de concert du Conservatoire, nous aurons le plaisir d’entendre un extrait de Luft le 20 octobre au soir.
Ni d’ici, ni d’ailleurs est un hommage rendu aux exilés d’à travers le monde. L’inspiration pour cette pièce est venue de l’expérience personnelle de sa compositrice, Farangis Nurulla-Khoja, étant elle-même exilée du Tadjikistan. Sa musique a certainement quelque chose de dramatique. Sur son site internet, les extraits (trop courts!) de ses œuvres relèvent du voyage intérieur dans un univers obscur, dont les sonorités seront quelque peu familières, de par leur parenté avec les articulations de la musique contemporaine plus traditionnelle. Pourra-t-on entendre des influences orientales dans la pièce? Si c’est le cas, ce sera bien de façon inconsciente que la compositrice aura intégré des éléments de sa musique natale dans ses œuvres. Toutefois, elle reconnaît que la culture de son pays exerce une influence sur son travail, comme on peut le constater dans plusieurs de ses titres et notes de programme qui citent des poètes tadjiks-persans.
Il s’agira également d’une première québécoise pour On the Sensations of Tone I, pièce du compositeur Anthony Tan. Gagnant des Prix du jury et du public combinés, lors de Génération 2014 de l’ECM+, ce jeune compositeur canadien et résidant à Berlin aborde sa musique comme une introspection. De par sa dimension sensorielle, la musique permet de vivre une expérience et de prendre conscience de soi, mais aussi de ses stratégies d’écoute. Dans notre façon d’écouter ou de composer la musique, on retrouve le reflet de notre façon de vivre notre vie, de concevoir la mort et de vivre des expériences. À défaut d’avoir la pièce au programme sous l’oreille, la seconde partie du triptyque Ksana, jouée par l’ECM+ lors du projet Génération 2014, est de bon augure. Toute en timbre, cette pièce est un long geste sonore passé au microscope, nous donnant à entendre un instantané sonore, mais étiré dans le temps. Pour savoir si On the Sensations of Tone I lui ressemblera, il faudra donc aller au concert!
En résumé, le concert préparé par le Turning Point Ensemble est un rodage solide. Des compositeurs de talent, combiné avec une programmation riche aux esthétiques diversifiées, que demander de mieux?
Pierre-Luc Senécal
ECM+PRÉSENTE TURNING POINT ENSEMBLE / …Et les oiseaux chantent Halleluia! Concert d’ouverture de saison
Mardi 20 octobre 2015, 19h30
Salle de concert du Conservatoire
4750, rue Henri-Julien, Montréal
514-524-0173