Si on vaut pas une risée…
Quelle amusante et jubilante soirée que ce Twouiiit Opéra! Sous-titrée malicieusement #cabaretexcentrique, cette production de l’ECM+ proposait un mariage unique et peu courant entre humour et musique contemporaine! Quelle idée de fou! Mais quelle excellente idée!
Faire de l’humour demande beaucoup de sérieux (et ce n’est pas une blague!). Si l’emballage nous fait rigoler et nous divertit, le travail derrière cette production s’est clairement fait dans les règles de l’art et c’est tout à l’honneur des interprètes.
Le prétexte à l’origine de ce spectacle était la création de Sur le fil, œuvre créée à quatre mains par Nicolas Gilbert et Maxime McKinley et basée sur des textes trouvés sur Twitter. Soulignons que cette œuvre était une commande de l’animatrice radio-canadienne Françoise Davoine pour célébrer ses 60 ans. Ce « micro-opéra », comique et déjanté, avait un petit quelque chose de dadaïste, surtout dans l’enchaînement des rigolotes lignes vocales aux interventions des percussions. Il a été de plus très judicieux de morceler l’œuvre et de la répartir dans la soirée en quatre épisodes, formant une sorte de structure où le reste de programme trouvait sa place de façon naturelle et sentie.
L’ajout comique – simple mais d’une efficacité redoutable – consistait principalement en la projection simultanée durant l’interprétation musicale d’images, de textes et de gags de tous genres. Ce décalage était nourri à mêmes les réseaux sociaux ainsi que de diverses trouvailles virtuelles, confrontant la musique dite « sérieuse » à des référents contemporains issus principalement de la culture populaire, dichotomie humoristique qui a fait ses preuves à maintes reprises (on songe à toutes ces séries de dessins animés tel The Simpsons qui carbure à l’humour de référence).
L’un des épisodes très réussi en ce sens était l’extrait d’Alma & Oskar de John Rea, dont la très sérieuse interprétation côtoyait un écran qui exposait, en guise de sur-titre au texte allemand, des paroles de chansons de Julie Masse, de Beau Dommage ou encore de Richard Desjardins ! Il en était de même pour Le Paon, extrait des Histoires naturelles de Ravel, illustré par des images amusantes circulant notamment sur Facebook. Et que dire des Chansons de mon placard de Peter Tiefenbach, présentées sous forme de karaoké, qui proposait sous le couvert d’une musique soignée des textes d’un ridicule absurde et jubilatoire portant sur divers produits alimentaires!
Les interventions caustiques de Frédéric Lambert, parfait maître de cérémonie pour un tel cabaret, ajoutait à la frénésie de la soirée. Les deux chanteurs, Marie-Annick Béliveau et Michiel Schrey, complices lyriques et scéniques parfaits, étaient à l’aise dans le burlesque tout autant que dans le jeu maîtrisé qu’exigeaient certaines œuvres. Ainsi, le duo des dindons extrait de l’opérette La Mascotte d’Edmond Audran est devenu un numéro hilarant, ridiculisant autant la convention vieillotte et l’humour défraîchi de l’opérette que les clichés de la musique contemporaine vocale. C’est en puisant à ces mêmes clichés que notre duo vocal, avec la participation de la violoncelliste Chloé Dominguez (mais sans son violoncelle), interpréta l’Aria de John Cage dans un esprit irrévérencieux qui respectait néanmoins parfaitement les indications de la partition!
Un mot sur l’autre création au programme : Bonheurs de Marc Hyland. L’œuvre proposait un humour nettement plus caustique, avec une touche politique. Comme quoi on peut rire, mais c’est parfois un rire jaune… Les amalgames de citations et de styles savamment construits par le compositeur nous laissent une impression décalée, drôle et tragique à la fois. Marc Hyland à peut-être choisi d’endosser le rôle du clown triste de la soirée, mais sa pièce forme une sorte de catharsis : l’esprit du cabaret est ici judicieusement cerné en tant qu’exultation par l’humour et la musique de ce qui n’est pas si drôle que ça dans la vie de tous les jours.
En sortant du Lion d’or, sous un ciel gris et froid, avec néanmoins le cœur léger et l’esprit allègre, j’ai pensé à ma grand-mère Gertrude. Cette dernière est une inépuisable source de dictons et proverbes savoureux puisés dans son Charlevoix natal. Je l’entendais dans ma tête s’exclamer : « Si on ne vaut pas une risée, on ne vaut pas grand chose! ». Ce savoureux adage d’une sagesse toute populaire, provenant de celle qui n’hésite pas à rire de ses erreurs et de ses défauts, est un bon résumé de la soirée : assumons le ridicule d’une certaine musique contemporaine et offrons-nous le luxe d’en rire un peu. Car il y a souvent de quoi rire dans ce milieu! Laissons de côté nos susceptibilités et abandonnons-nous à ce plaisir de la dérision et de l’auto-dérision. Servie par des musiciens en pleine possession de leurs moyen, ce concert comique ne pouvait qu’être jubilatoire, exutoire. Vivement une autre édition de ce cabaret incontournable!
Éric Champagne
8 décembre 2015