Monologues et quelques dialogues
Premier concert présenté par le compositeur montréalais Éric Champagne dans le cadre de sa résidence à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, Monologues et quelques dialogues mettait en vedette le clarinettiste David Perreault dans un programme dédié au répertoire pour clarinette seule des vingtième et vingt-et-unième siècles : y étaient entendues des œuvres de créateurs québécois issus de différentes générations, dont Champagne lui-même, mais aussi des œuvres de compositeurs américains et européens. Le concert était présenté et commenté par son organisateur, lui-même clarinettiste de formation, qui soulignait, pour chaque œuvre, dans une sorte de parcours musical autobiographique, le lien qui l’y rattachait. Ces présentations, toujours chaleureuses, contribuaient à l’excellente disposition de la quarantaine de spectateurs présents, qui ont fait preuve d’une grande attention tout au long du concert.
Le concert s’ouvrait avec trois pièces apparentées, tant par le style que par le moment de leur composition : le Monologue (1979) du compositeur hongrois József Soproni, la Stèle (1991) du québécois François Morel et le Prélude du polonais Krzysztof Penderecki (1987). La pièce de Soproni s’affiche comme la plus mobile des trois alors que le Prélude de Penderecki se démarque par l’intensité dramatique de ses passages en trilles dans le registre aigu de l’instrument. L’œuvre de Morel témoigne quant à elle de l’intérêt constant du compositeur pour les instruments à vents, qui occupent une place de choix au sein de son abondante production. On rattachera à ces trois premières pièces le Lied (1983) de Luciano Berio, pièce rêveuse et lyrique entendue plus loin dans le concert.
Suivait la Pièce pour clarinette du jeune Hans Martin, écrite dans le cadre de ses études de composition au Conservatoire de musique de Montréal. L’œuvre emprunte à l’esthétique et aux techniques de jeu explorées dans les pièces précédemment entendues. À l’instar du Prélude de Penderecki, la pièce de Martin était interprétée dans l’obscurité, depuis la galerie supérieure de la salle, un choix que nous nous expliquons difficilement, surtout si l’on considère que l’œuvre suivante, interprétée sur scène, Saints Preserve Us, 3 Études-prières for solo clarinet, de l’américain William Albright, comportait des indications de spatialisation. Il nous semble que l’utilisation des différents lieux de la salle aurait été davantage appropriée pour cette dernière pièce.
Éric Champagne présentait pour sa part deux opus, tout d’abord ses Trois pièces pour clarinette seule, hommage avoué au monument de la littérature de l’instrument que sont les Trois pièces d’Igor Stravinsky de même qu’un Scrapbook fait de fragments de toutes les pièces entendues lors de la soirée. En résulte une pièce vivante, où toutefois on peine à différencier les éléments du collage en raison de la parenté stylistique des œuvres auxquelles elle emprunte.
Toujours au chapitre des créations, on a aussi pu entendre le travail d’Hubert Tanguay-Labrosse, mieux connu comme clarinettiste et chef d’orchestre. Commandées par Éric Champagne, ces six « mini-niatures » révèlent un sens mélodique certain et se différencient subtilement les unes des autres.
Pour Soupirs, la plus longue pièce du concert, David Perreault était rejoint sur scène par la compositrice de l’œuvre, l’artiste multidisciplinaire Sonia Paço-Rocchia. En dépit du dispositif élaboré qu’elle requiert — plusieurs microphones pour le traitement en direct des sons acoustiques de la clarinette et des voix des interprètes, un gant muni de senseurs permettant la modulation des sons traités, etc. —, Soupirs nous semble appartenir davantage aux mondes de l’installation et de la performance qu’à celui du concert. En effet, le mode de présentation très statique qu’elle adopte de même que l’absence de contrastes entre les différents moments de la pièce appellent une écoute plus libre : il aurait été intéressant, par exemple, de pouvoir circuler autour de l’installation, de pouvoir comparer les sons provenant des hauts-parleurs à ceux émis par les instruments, bref, de pouvoir sortir, pour cette pièce, du rituel du concert classique.
À cet effet, il aurait été à notre avis salutaire de faire une courte pause — les dix pièces du programme étaient entendues sans interruption, à l’exception des interventions de son organisateur — pour permettre à l’auditeur de reprendre son souffle et de dissiper le sentiment claustrophobique que l’on peut parfois ressentir dans la salle de la Chapelle, dont on ne peut sortir qu’en traversant la scène.
Finalement, toutes nos félicitations vont au clarinettiste David Perreault, pour sa préparation impeccable et la concentration dont il a fait preuve tout au long d’un programme très exigeant.
Nous attendrons également avec impatience la présentation, au mois d’avril, de deux autres concerts organisés par Éric Champagne à la Chapelle, le premier, Dessine-moi une partition, destiné à un public d’âge scolaire — un public auprès duquel Champagne excelle — et le second, Airs mélancoliques, consacré à la mélodie québécoise contemporaine.
Alexis Raynault