Sorte de bibitte à 26 yeux et 13 membres, le chœur Joker est une initiative de la compositrice, saxophoniste, vocaliste et chef de chœur Joane Hétu. Aidée de plusieurs musiciens chevronnés de la musique contemporaine, elle a proposé une performance pour le moins inusitée mercredi soir, au Conservatoire de musique et d’art dramatique de Montréal. En effet, elle présentait « Où est-il donc ce rêve? », une pièce de plus de soixante minutes pour un instrument tout à fait particulier : une chorale bruitiste.
La formation fait une entrée remarquée. Entonnant en canon une mélodie simplissime depuis les coulisses, les membres avancent à la queue leu-leu dans la salle, bougie électrique en main, comme lors d’une veillée nocturne. Les membres de la procession sont vêtus de bonnets de nuit, de robes de chambre, de vêtements bariolés et autres accoutrements « charmants » pour citer D. Kimm, directrice artistique du festival Phénomena dans le cadre duquel la pièce est présentée.
Une fois leur mantra achevé, Michel F. Côté débute une narration onirique, ponctuant ça et là le discours musical. À remarquer la qualité de la voix du narrateur, mais surtout l’équilibre entre la justesse de ses interventions et celles du chœur, deux organismes dialoguant sans difficulté.
La pièce traite du rêve et de l’affect vis-à-vis « ceux-là » qui tuent nos rêves. Pourtant, j’ai l’impression que Joane Hétu ne m’a pas pris par la main pour me raconter cette histoire. Elle m’a pris par l’épaule, m’a dit de regarder droit devant et m’a laissé voir ce que je voulais bien. J’écoutais une histoire non dite, cachée dans le récit et racontée par la musique elle-même, comme si elle nous parlait
« Où est-il donc ce rêve? » est une pièce viscérale, ressentie, traversant une palette incroyable d’émotions vocales, tout en offrant des moments simples et ludiques. Nous avons pu partager quelques rires et sourires avec certains choristes plus indisciplinés, tout à fait à l’aise avec l’incongruité à laquelle ils participaient.
Je me plais à imaginer un chœur Joker démultiplié : 35 choristes-bruitistes professionnels (est-ce que ça existe?) dans une salle de qualité supérieure. À mon avis, les « harmonies » qui n’étaient pas toujours justes et les quelques imprécisions rythmiques de la performance étaient factices, certains membres du chœur étant en réalité des compositeurs improvisés choristes. Ces faiblesses étaient vite oubliées durant le concert. C’est vraiment dans la texture et l’épaisseur du son que le chœur bénéficiera d’effectifs « optimisés ». Cela dit, les choristes présents ont fait un travail admirable, et j’en profite pour lever mon chapeau à Lori Freedman et Jean Derome pour leur excellente performance.
De loin l’œuvre la plus travaillée que j’ai entendue depuis le début du festival Phénomena, « Où est-il donc ce rêve? » aura fait l’objet d’une belle performance, et j’espère voir cette initiative fleurir pour les années à venir.
Je résumerai ainsi : « Joker aime le son. J’aime le son. J’aime Joker. »
Pierre-Luc Senécal