Pour Wolf Edwards, une œuvre ne peut être conçue comme un aboutissement. Elle exprime plutôt la tension entre les forces actives au sein du processus de création et la transition perpétuelle d’un paysage intérieur en devenir. Chaque œuvre est donc transitoire. Néanmoins, de par son articulation et son type de matériaux, Irons s’inscrit dans le style hétérogène bruité et sans compromis des œuvres récentes du compositeur – Ictus, pour percussions, créée par Sixtrum (2009) et Ruins (2009), quatuor de violoncelles commandée par l’ECM+-, à la différence près que Wolf Edwards emploie ici des référents sonores à l’intérieur même d’une plastique sonore abstraite.
Au dire du compositeur, Irons (2008) fait référence au monde sonore de « l’atelier », et se veut une réflexion sur une certaine condition de l’homme moderne ou sur son aliénation par le travail. Depuis le futurisme, beaucoup de compositeurs ont participé à cette réflexion par l’emploi de référents sonores urbains et industriels. Dans leurs œuvres, on trouve généralement en toile de fond une dénonciation ou une prise de position politique. Bien avant d’être rejetée par les autorités soviétiques, La fonderie d’acier de Mossolov (1927) avait été commandée pour célébrer le dixième anniversaire de la révolution russe et glorifier le prolétariat ouvrier. Autrement, plus près de nous, Luigi Nono a voulu témoigner de la misère du monde ouvrier dans La fabbrica illuminata (1964) et chez Varèse, les interpolations sur bande hachurées et bruyantes de Déserts (1954) font partie intégrante du propos existentiel de cette « messe » de la modernité. Dans ces deux œuvres les sons référentiels à l’industrie se trouvent broyés en fragments et manipulés de façon à soutenir le propos tout en intériorité des compositeurs. C’est précisément dans la filiation des Nono et Varèse qu’il faut inscrire l’œuvre d’Edwards, plutôt que de la rattacher aux tendances figuratives des Honegger, Antheil et autres. Ainsi, Irons ne fait pas dans la description ni dans le «naturalisme » ouvrier, mais se propose plutôt comme une sorte de manifeste intérieur contre la violence faite à l’homme par l’homme.
Dans Irons, ce sont les bidons d’essence, pince-monseigneur, objets métalliques divers, tambour à frein, enclume, scie et perceuse électriques, alarme digitale, moulin électrique à café, papier sablé, bruits blancs de radio, enregistreuses et lecteurs CD avec musique d’ambiance aléatoire, tous actionnés par les six percussionnistes, qui viendront ponctuer les raclages bruités d’un quintette à cordes amplifié, d’un quatuor de saxophones enrichi d’un contrebasson amplifié, et des peaux et des métaux plus traditionnels.
Wolf Edwards compose avec l’esprit d’un nomade ou d’un voyageur perpétuellement en marche. Pour lui, l’œuvre se déploie, petit à petit, à partir d’une situation musicale d’origine qui se cristallise, dans la durée au fil des jours. Aucune préformalisation ne saurait contraindre le bouillonnement de matière à mettre au monde. D’ailleurs, le compositeur affirme que cela lui permet d’obtenir des architectures formelles plus imprévisibles et plus organiques, qui conviennent davantage à l’élaboration de son discours. Incidemment, il compare les formes qui en résultent à des labyrinthes kaléidoscopiques constamment forgés par les moindres impulsions de sa pensée.
Dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand, la matière procède par mouvements continuels, allers et venues entre agglutinations et dissolutions, densifications et raréfactions, chocs, catastrophes et repos : ainsi, Edwards superpose différentes strates de matériaux sous forme de séquences, chacune constituant des amas de types de matériaux distincts comportant leur propre trajectoire évolutive, chacune appelée à tout moment à se fusionner ou à s’entrechoquer avec les autres. D’autre part, un peu comme les souvenirs s’érodent avec le temps, des répétitions cycliques interviennent afin de faire entendre une détérioration progressive du matériau. Bien que le compositeur précise qu’il ne s’agit pas ici de musique à programme, il souligne qu’une des fonctions de ces répétitions vise à dénoncer un appauvrissement et un assèchement de la pensée actuelle, conséquence entre autres d’une certaine « éthique du travail industriel ».
Des surfaces edwardiennes se dégagent une âpreté par saturation ou extinction des voix. Cette austérité esthétique empêche l’auditeur de se retrancher dans ses zones de confort habituel. Ainsi, l’écoute nomade parcourt un territoire incendié et morcelé, se fraie un chemin à travers les brasiers. Car avec Irons, Wolf Edwards nous invite à «rompre les fers » du conditionnement social de notre écoute ou à tout le moins, plus modestement, à réfléchir et à penser. L’invitation est lancée.
Wolf Edwards: Irons, création mondiale, commande de la SMCQ
SMCQ, dir. : Walter Boudreau
28 octobre 2010, 20h
Salle Pierre-Mercure – Centre Pierre-Péladeau
Pour Wolf Edwards, une œuvre ne peut être conçue comme un aboutissement. Elle exprime plutôt la tension entre les forces actives au sein du processus de création et la transition perpétuelle d’un paysage intérieur en devenir. Chaque œuvre est donc transitoire. Néanmoins, de par son articulation et son type de matériaux, Irons s’inscrit dans le style hétérogène bruité et sans compromis des œuvres récentes du compositeur – Ictus, pour percussions, créée par Sixtrum (2009) et Ruins (2009), quatuor de violoncelles commandée par l’ECM+-, à la différence près que Wolf Edwards emploie ici des référents sonores à l’intérieur même d’une plastique sonore abstraite.
Au dire du compositeur, Irons (2008) fait référence au monde sonore de « l’atelier », et se veut une réflexion sur une certaine condition de l’homme moderne ou sur son aliénation par le travail. Depuis le futurisme, beaucoup de compositeurs ont participé à cette réflexion par l’emploi de référents sonores urbains et industriels. Dans leurs œuvres, on trouve généralement en toile de fond une dénonciation ou une prise de position politique. Bien avant d’être rejetée par les autorités soviétiques, La fonderie d’acier de Mossolov (1927) avait été commandée pour célébrer le dixième anniversaire de la révolution russe et glorifier le prolétariat ouvrier. Autrement, plus près de nous, Luigi Nono a voulu témoigner de la misère du monde ouvrier dans La fabbrica illuminata (1964) et chez Varèse, les interpolations sur bande hachurées et bruyantes de Déserts (1954) font partie intégrante du propos existentiel de cette « messe » de la modernité. Dans ces deux œuvres les sons référentiels à l’industrie se trouvent broyés en fragments et manipulés de façon à soutenir le propos tout en intériorité des compositeurs. C’est précisément dans la filiation des Nono et Varèse qu’il faut inscrire l’œuvre d’Edwards, plutôt que de la rattacher aux tendances figuratives des Honegger, Antheil et autres. Ainsi, Irons ne fait pas dans la description ni dans le «naturalisme » ouvrier, mais se propose plutôt comme une sorte de manifeste intérieur contre la violence faite à l’homme par l’homme.
Dans Irons, ce sont les bidons d’essence, pince-monseigneur, objets métalliques divers, tambour à frein, enclume, scie et perceuse électriques, alarme digitale, moulin électrique à café, papier sablé, bruits blancs de radio, enregistreuses et lecteurs CD avec musique d’ambiance aléatoire, tous actionnés par les six percussionnistes, qui viendront ponctuer les raclages bruités d’un quintette à cordes amplifié, d’un quatuor de saxophones enrichi d’un contrebasson amplifié, et des peaux et des métaux plus traditionnels.
Wolf Edwards compose avec l’esprit d’un nomade ou d’un voyageur perpétuellement en marche. Pour lui, l’œuvre se déploie, petit à petit, à partir d’une situation musicale d’origine qui se cristallise, dans la durée au fil des jours. Aucune préformalisation ne saurait contraindre le bouillonnement de matière à mettre au monde. D’ailleurs, le compositeur affirme que cela lui permet d’obtenir des architectures formelles plus imprévisibles et plus organiques, qui conviennent davantage à l’élaboration de son discours. Incidemment, il compare les formes qui en résultent à des labyrinthes kaléidoscopiques constamment forgés par les moindres impulsions de sa pensée.
Dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand, la matière procède par mouvements continuels, allers et venues entre agglutinations et dissolutions, densifications et raréfactions, chocs, catastrophes et repos : ainsi, Edwards superpose différentes strates de matériaux sous forme de séquences, chacune constituant des amas de types de matériaux distincts comportant leur propre trajectoire évolutive, chacune appelée à tout moment à se fusionner ou à s’entrechoquer avec les autres. D’autre part, un peu comme les souvenirs s’érodent avec le temps, des répétitions cycliques interviennent afin de faire entendre une détérioration progressive du matériau. Bien que le compositeur précise qu’il ne s’agit pas ici de musique à programme, il souligne qu’une des fonctions de ces répétitions vise à dénoncer un appauvrissement et un assèchement de la pensée actuelle, conséquence entre autres d’une certaine « éthique du travail industriel ».
Des surfaces edwardiennes se dégagent une âpreté par saturation ou extinction des voix. Cette austérité esthétique empêche l’auditeur de se retrancher dans ses zones de confort habituel. Ainsi, l’écoute nomade parcourt un territoire incendié et morcelé, se fraie un chemin à travers les brasiers. Car avec Irons, Wolf Edwards nous invite à «rompre les fers » du conditionnement social de notre écoute ou à tout le moins, plus modestement, à réfléchir et à penser. L’invitation est lancée.
Wolf Edwards: Irons, création mondiale, commande de la SMCQ
SMCQ, dir. : Walter Boudreau
28 octobre 2010, 20h
Salle Pierre-Mercure – Centre Pierre-Péladeau