T.A.G
Dès les premiers moments, on entend des bruits de sirènes de police, des bruits de pas sur l’asphalte et des ambiances de foules, mais très rapidement, la compositrice se distancie d’un discours représentatif. Elle invite plutôt à plonger dans la matière même qui constitue ces sons et à y abandonner toute lecture autre que celle du sensible.
Cette invitation emprunte essentiellement deux sentiers. Un premier qui consiste en une série de traitements auxquels sont soumis entres autres les sons de sirènes de police. Vient ensuite un ensemble de sons obtenus par synthèse qui vont venir rappeler ces sonorités concrètes dans leur profil général tout en les transposant ailleurs. En écho aux mouvements de groupes propres aux foules en marche, la compositrice développe une écriture de la masse faite d’accumulations qui trace un parcours formel limpide tout en proposant une conduite complexe de l’écoute.
Les sons de sirènes de polices, déjà proches en soi des sonorités synthétiques, sont surtout présentes dans la première moitié de l’oeuvre. Le glissando typique de ces sonorités est amplifié et repris dans la synthèse et finit, après de multiples boucles en aparté et autres digressions, par engendrer un long glissando descendant. Un moment phare de l’oeuvre où l’on peut apprécier l’ampleur du savoir-faire de la compositrice. C’est tout un tour de force que de pouvoir mener l’écoute vers des gestes d’une telle ampleur et concision. L’oeuvre fait intervenir ensuite des sonorités de bruits de pas sur l’asphalte que la compositrice agence en une série d’accumulations avant de devenir eux-mêmes source de synthèse sonore.
Difficile de résister à la tentation de créer des liens entre l’oeuvre de Monique Jean et les manifestations étudiantes qui ont marquées le printemps 2012. Mais l’oeuvre échappe aux rapprochements trop directs et ces références planent au-dessus d’elle sans jamais s’y ancrer. Dans Qu’est-ce que la littérature ?, des propos de Jean-Paul Sartre pourrait résumer en quelques sortes ces affiliations:
« Les notes, les couleurs, les formes, ne sont pas des signes, elles ne renvoient à rien qui leur soit extérieur. Le petit sens obscur qui les habite, gaîté légère, timide tristesse, leur demeure immanent ou tremble autour d’elles comme une brume de chaleur.» [1]
Les occasion sont rares de pouvoir assister à des oeuvres nouvelles qui créent un consensus aussi fort lors de leur création. Il ne fait aucun doute que T.A.G. a laissé une impression semblable au public du festival Akousma jeudi dernier à l’Usine C.
Patrick Saint-Denis
[1] Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ? Gallimard, Paris 1948.