Un vent de renouveau souffle sur la scène de la musique classique montréalaise ! Le concert de l’Orchestre Métropolitain du 25 avril dernier, tenu à la Maison Symphonique, était placé sous le thème de la jeunesse. Si ce que l’on a entendu en est une indication, la relève de la musique classique se porte très bien ! La pianiste Marika Bournaki et le violoniste Kerson Leong (interprétant respectivement le Concerto pour piano op. 54 de Schumann et la célèbre Carmen-Fantaisie de Frank Waxman), le chef d’orchestre Jean-Michaël Lavoie et les compositeurs Nicolas Gilbert et Éric Champagne, tous ces artistes n’ont pas 35 ans et débordent d’une énergie contagieuse. Jeunes, certes, mais tous ont plusieurs années de pratique musicale, et affichent une maîtrise exceptionnelle de leur art.
Éric Champagne appartient à cette génération montante de compositeurs canadiens qui sont inspirés par leurs prédécesseurs mais développent un langage harmonique et orchestral innovateur. Lui qui nous présente lors de ce concert sa pièce Lux, pour chœur et orchestre, sur un texte original de l’auteure Christiane Duchesne, a déjà une carrière florissante à son actif, ses œuvres étant régulièrement jouées au Canada, aux États-Unis, en Suisse et en Inde. Pour une deuxième année consécutive, il est compositeur en résidence auprès de l’Orchestre Métropolitain. En avril 2011, il avait présenté au public montréalais Vers les astres (en réponse à Orion du compositeur québécois Claude Vivier, interprétée au même programme) tandis qu’en septembre 2012, le public avait été séduit par une œuvre au titre évocateur : Exil intérieur ou les trahisons du rêve américain. C’est donc fort d’une belle expérience qu’il nous offre ici une courte pièce de cinq minutes, mais très intense avec de subtils coloris orchestraux. Il n’y a pas de ligne mélodique à proprement parler : l’on chercherait en vain une quelconque mélodie que l’on pourrait chantonner ensuite. L’esthétique d’Éric Champagne est tout autre, et ce, même dans les œuvres vocales : le matériau consiste plutôt en blocs de sonorités, que le compositeur manipule et dispose selon un style qui lui est propre.
Pour Lux, Champagne revient à ces images évocatrices que sont les astres, les étoiles, la lumière. Sujet intemporel ayant maintes fois inspiré des œuvres artistiques, certes, mais qui néanmoins semble ne jamais vouloir s’épuiser et qui, parlant à l’âme humaine, conserve sa pertinence. Il a de tout temps fasciné les compositeurs, qui s’en sont servi afin de faire briller leur imagination et nous présenter des effets novateurs (que l’on pense à Haydn et le fameux « Es war Licht » l’oratorio Die Schöpfung). Champagne emprunte un chemin différent de ses prédécesseurs, et même par rapport à ses œuvres précédentes. On remarque cependant qu’un certain nombre de traits représentatifs du style du compositeur se retrouvent dans cette œuvre : une affinité toute particulière avec la voix et les instruments de l’orchestre, la continuité du discours musical, une logique interne qui soutient toute l’œuvre, une pensée qui organise les événements musicaux sans toutefois jamais les contraindre à s’intégrer dans un cadre trop restreint, une imagination qui réussit à nous surprendre à chaque détour.
Comme c’est le cas dans plusieurs des œuvres de Champagne que j’ai eu le plaisir d’entendre, le compositeur mise sur les jeux de sonorités, aidé par ses dons évidents d’orchestrateur et sa compréhension des possibilités de chaque instrument. L’orchestration, touffue, utilise sans cesse les vents de manière très vivante (rappelons ici que Champagne est clarinettiste de formation) et évoque Mahler par moments. n comparant l’œuvre de Champagne avec celle qui la suivait au programme, une œuvre plus résolument tonale composée par les élèves de l’école Pierre-Laporte sous la supervision du compositeur Nicolas Gilbert, l’on chercherait en vain de longues mélodies dans la première. Le sujet en est aussi moins ludique, beaucoup plus sérieux. Le texte, d’ailleurs, assez court, cryptique, suggère bien davantage qu’il n’énonce clairement : il est à chaque instant en lien avec l’esthétique musicale de l’œuvre. Tout dans le texte de Christiane Duchesne est couleur et lumière : « encre bleue », « ombre noire », « chambre obscure », « aube pâle », « halo nacré », « lueur », « houle blanche »… L’œuvre, en retour, dépeint musicalement ce passage de l’ombre à la lumière : elle débute mystérieusement, très doucement, avec un léger tremolo aux cordes, une sonorité très aérienne, presqu’épurée. Le « parlando » initial du chœur, combiné avec les cuivres en sourdine, produit un effet novateur et très saisissant : on se croirait dans les ténèbres. Cependant cette lumière, tout comme le texte, prend de multiples formes et peut être soumises à de multiples interprétations : elle vacille, elle englobe, elle est à la fois très brillante ou encore tamisée, confinée dans un espace restreint ou encore envahissant un espace très vaste. Elle devient en quelque sorte l’énergie qui supporte la logique du discours musical. Il faut écouter l’œuvre pour saisir à quel point une seule image, la lumière, peut être porteuse de sens, peut être exprimée de multiples manières. Le langage musical lui-même est pluriel : l’on retrouve de petits éclats sonores ici et là qui ponctuent le discours musical, des effets soudains de rupture donnant de l’emphase, un solo de violon, des moments presque tonaux comportant des accords dissonants. L’œuvre devient de plus en plus sonore, progressant jusqu’à un forte éclatant, menant jusqu’à la lumière du jour, envahissant l’espace. Très influencée par les nombreuses possibilités qu’offre le rythme, l’œuvre de Champagne révèle un côté minimaliste à l’américaine : dans une entrevue réalisée pour le Centre de musique canadienne, Champagne avoue d’ailleurs volontiers une certaine influence sur lui du compositeur américain John Adams. Sans être franchement minimaliste, Lux est indiscutablement une œuvre dans laquelle un rythme périodique occupe une grande place, mettant en place une ambiance, une atmosphère pouvant difficilement être décrite en mots.
L’Orchestre Métropolitain offre une interprétation solide de Lux : on constate que désormais, avec déjà plusieurs œuvres de Champagne à son répertoire, l’orchestre saisit la subtilité de la pensée du compositeur et l’éclectisme que l’on y retrouve : il a développé de belles affinités avec son langage musical. Le vaste chœur, constitué de plus de 200 étudiants de l’école secondaire Joseph-François-Perreault, qui accompagnait l’œuvre était très bien préparé : les voix sont belles, justes, et l’engagement des jeunes musiciens ainsi que leur enthousiasme est évident. Ces voix jeunes projettent un son très pur, qui donne un effet d’innocence parfaitement adapté au contexte de l’œuvre.
Une excellente nouvelle pour les mélomanes! L’Orchestre Métropolitain renouvèle à Éric Champagne sa confiance pour la saison 2013-2014, lui passant cette fois une commande majeure : une première symphonie, qui sera son œuvre la plus importante créée à ce jour. Ce sera là une excellente opportunité pour le compositeur de se faire valoir dans une œuvre de plus grande envergure, à la hauteur des moyens techniques et compositionnels dont il a indiscutablement fait preuve.