Moqueur polyglotte. Crédit : CD
Dix œuvres incontournables de la musique électroacoustique québécoise
Décidément, le Québec n’a rien à envier aux autres pays en matière de musique électroacoustique. En effet, la province regorge de compositeurs créatifs qui ne cessent de repousser les limites de leur discipline et d’être reconnus internationalement. Même si dans la majorité des cas, la musique de ces compositeurs se rapproche du style acousmatique que l’on peut entendre en Europe, il y a bel et bien quelque chose qui les distingue : ils ont un son et une esthétique bien à eux.
Je vous propose donc une liste de 10 œuvres incontournables par des compositeurs et compositrices d’ici afin de découvrir le panorama de notre production électroacoustique.
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Crystal Music (1994)
Stéphane Roy
Dans Crystal Music, le compositeur Stéphane Roy traite sa matière sonore comme s’il s’agissait du verre en la dilatant, la moulant, la faisant se transmuter. D’ailleurs, la nature même des sons employés vient rappeler le verre, le cristal. Il y a quelque chose de nerveux, d’instable dans cette pièce. L’œuvre se caractérise par de grandes variations de la dynamique ainsi que par des explosions d’énergie qui émergent soudainement du silence pour ensuite s’éteindre aussi rapidement. À l’écoute, l’auditeur peut trouver des ressemblances avec certaines pièces les plus abstraites de Francis Dhomont. Ce n’est pas un hasard puisque Stéphane Roy a été son élève.
Stéphane Roy est l’auteur d’un ouvrage sur l’analyse de la musique électroacoustique (L’analyse des musique électroacoustiques : Modèles et propositions). Au cours de sa carrière, il a également enseigné à l’Université de Montréal ainsi qu’au Conservatoire de musique de Montréal. Sa pièce, Crystal Music, a notamment obtenu le Premier prix au 3e Prix international Noroit-Léonce Petitot (Arras, France, 1994)
Kaleidos
Compact-compact 7
empreintes DIGITALes IMED 9630 1996
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StrinGDberg (version finale 2003)
Robert Normandeau
Véritable tour de force musical, StrinGDberg est une œuvre minimaliste 16 pistes entièrement basée sur deux sources sonores : une prise de son d’une vielle à roue d’une durée d’une minute et une autre tirée du jeu d’un violoncelle. Le caractère tramé de la pièce, voir méditatif, invite l’auditeur à pénétrer au cœur du son et à être témoin des micro-variations qui surviennent, à s’en émouvoir même. Une partie plus rythmique, caractéristique de l’œuvre de Normandeau, s’insère vers la moitié de la pièce. Comme pour une bonne partie de son catalogue StrinGDberg a été composée afin d’accompagner une pièce de théâtre : Mademoiselle Julie, d’August Strindberg dont la mise en scène était assurée par Brigitte Haentjens et présentée à l’Espace GO (Montréal) en mai 2001.
Robert Normandeau enseigne à l’Université de Montréal. Ses œuvres ont été maintes fois primées lors de concours internationaux. Il est à noter qu’il est le co-fondateur de Réseaux, une société de concerts dédiée à la diffusion des arts médiatiques qui a présenté les séries de concerts Rien à voir et Akousma.
Puzzles
empreintes DIGITALes IMED 0575 2005
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Les corps éblouis (version finale 1994)
Christian Calon
Les corps éblouis tire ses matériaux sonores d’une seule source : la guitare électrique. Véritable travail sur la métamorphose, non seulement des sons de base mais également dans sa durée, la pièce a été pensée afin d’engendrer un effet spirale où tout s’imbrique dans une perpétuelle mouvance. Ici on reconnaît le savoir-faire exemplaire de Calon, et une technique d’écriture comparable à celles des Parmegiani et Dhomont de ce monde. Les corps éblouis s’est méritée le 2e prix du jury au 22e Concours international de musique électroacoustique de Bourges (France, 1994) ainsi que des distinctions au Prix Ars Electronica (Linz, Autriche, 1995, 97).
Christian Calon est un artiste indépendant œuvrant également en photographie et dont les œuvres ont maintes fois été récompensées aussi bien à l’international que chez nous.
Les corps éblouis
Compact-compact 8
empreintes DIGITALes IMED 9838 1998
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Le vertige inconnu (1994)
Gilles Gobeil
Le vertige inconnu est probablement la pièce la plus forte non seulement de l’album La mécanique des ruptures mais aussi du répertoire entier de Gilles Gobeil. Construite à partir de sons concrets, dont on peut en reconnaître la provenance, le compositeur crée un univers cinématographique quasi surréaliste à l’intérieur duquel coexistent grillons et machines à air comprimé. Toutes les habiletés de Gobeil qui font de lui un compositeur si unique sont brillamment illustrées dans cette pièce : articulations vives, rupture du silence par des explosions sonores soudaines… Le vertige inconnu s’est mérité le prix du concours international de musique électroacoustique Stockholm Electronic Arts Award (Suède, 1994) et le 2e prix au Prix Ars Electronica (Linz, Autriche, 1995).
Gilles Gobeil est professeur en technologies musicales au Cégep de Drummondville (depuis 1992) et a été professeur invité de composition électroacoustique à l’Université de Montréal (2005-06) et au Conservatoire de musique de Montréal (2007). Il est également lauréat de plus d’une vingtaine de prix sur la scène nationale et internationale.
La mécanique des ruptures
empreintes DIGITALes IMED 9421 1994
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Sous le regard d’un soleil noir (1981)
Francis Dhomont
Cette œuvre tourmentée, faisant partie du Cycle des profondeurs, explore et illustre l’univers de la schizophrénie en huit parties. Une des particularités de l’œuvre est l’emploi de la narration. Afin d’entrer dans le sujet, Dhomont utilise des textes du psychiatre et psychanalyste Ronald D. Laing. Mais cette narration ne sert pas seulement à informer. Elle guide carrément le développement de la pièce devenant même matériau sonore à certains moments. Selon Dhomont, cette œuvre propose la rencontre de l’imagination et de l’imagerie mentale produite par le traitement des sons. Sous le regard d’un soleil noir a obtenu le 1er Prix de la catégorie musique à programme au 9e Concours international de musique électroacoustique de Bourges (France, 1981).
Originaire de Paris, Francis Dhomont a passé une bonne partie de sa vie à Montréal pendant laquelle il enseigna l’Université de Montréal (de 1980 à 1996). C’est d’ailleurs lors de cette période qu’il composa Sous le regard d’un soleil noir. Il est une des figures de proue les plus marquantes dans le domaine de la musique électroacoustique et son travail a été largement reconnu et encensé.
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Water Music (1991)
Yves Daoust
C’est par un beau jour de printemps que le compositeur eut l’idée de Water Music. Les gouttelettes tombant des glaçons fondants lui semblèrent mélodiques. La beauté de cette pièce vient du fait qu’elle joue sur un matériau qui nous est assez familier, l’eau, en la mettant en vedette, permettant à l’auditeur de vraiment lui porter attention pour une fois. Le passage entre les différentes sections est particulièrement bien réussi.
Parallèlement à son enseignement au conservatoire de musique de Montréal (il quitte en 2011), Yves Daoust contribue au développement de la scène électroacoustique au Québec, notamment en participant très activement en 1978 à la fondation et au développement du premier organisme au pays voué à la promotion et à la diffusion de la musique électroacoustique, l’ACREQ. En 2009, il a reçu le Prix Serge-Garant (Fondation Émile-Nelligan), pour l’ensemble de son œuvre.
Musiques naïves
empreintes DIGITALes IMED 9843 1998
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eXpress (2002)
Jean Piché
Jean Piché est décidément un innovateur. Au départ compositeur (pensons à la pièce Taxis to Burning Sky), il s’est rapidement tourné vers l’image pour ensuite développer une toute nouvelle discipline à laquelle il donnera le nom de « vidéomusique ». Ce que le compositeur tente de traduire c’est une perception symétrique entre l’image et le son, une synergie. Pour eXpress, une œuvre pour trois écrans, Piché a filmé les images dans le train reliant Bourges et Paris. On peut y reconnaître des paysages. L’allure très cinétique de eXpress est obtenue en forçant la caméra à une vitesse d’obturation très rapide avec une grande ouverture de l’objectif. La musique minimaliste et répétitive contribue à l’effet de transe de l’œuvre.
L’enseignement et la recherche en composition électroacoustique à l’Université de Montréal occupent une part importante de la vie professionnelle de Jean Piché. Il est également impliqué dans le développement de logiciels. On lui doit notamment Cecilia, un logiciel de traitement sonore.
http://www.jeanpiche.com/express.htm
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Big Bang II (1987)
Marcelle Deschênes
Dans Big Bang II, on se retrouve dans un univers post-nucléaire. L’œuvre avait d’abord été conçue comme trame sonore servant d’accompagnement à une installation multimedia du sculpteur holographe et artiste de la lumière, Georges Dyens, intégrant sculptures holographiques, éclairages, fibre optique, musique électroacoustique, le tout en mouvement chorégraphié par un système de synchronisation programmée. De nature tramée et minimaliste, la pièce est brillamment écrite et a inspiré bon nombre de compositeurs.
De 1980 à 97, Marcelle Deschênes enseigne à la faculté de musique de l’Université de Montréal, la composition électroacoustique et multimédia, la perception auditive et les techniques d’écriture électroacoustique. Elle met sur pied, développe et dirige un programme inédit en composition électroacoustique aux trois cycles (baccalauréat, maîtrise et doctorat).
petits Big Bangs
empreintes DIGITALes IMED 0681 2006
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Arksalalartôq (1971)
Micheline Coulombe Saint-Marcoux
Cette pièce joue autour de l’abstraction de la parole, de la voix et même des instruments de musique. Arksalalartôq, d’après des textes des poètes québécois Noël Audet et Gilles Marsolais, exprime le vertige des mots, des sons, par analogie avec le jeu inuit où les participants (le plus souvent des femmes) mettent à l’épreuve leur capacité d’invention à créer et de résistance à émettre des sons, des mots pour la plupart sans signification. Entrecoupée par des sons percussifs ou dans d’autres cas, tirés de synthétiseurs analogiques, Arksalalartôq rappelle certaines pièces de Stockhausen ainsi que Le Pierrot lunaire de Schoenberg.
En 1968, Iannis Xenakis recommande vivement à Micheline Coulombe Saint-Marcoux d’aller à Paris pour y étudier la musique électroacoustique avec le désormais célèbre Groupe de recherches musicales (GRM), ce qu’elle fit. À son retour à Montréal, elle enseignera au Conservatoire de musique de Montréal jusqu’à son décès en 1985.
Impulsion
empreintes DIGITALes IMED 0159 2001
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Mantra (1997)
Jean-François Laporte
Dans l’ère moderne où nous vivons, nous sommes envahis, submergés par des sons de toutes sortes qui accompagnent notre existence. Jean-François Laporte les nomme « mantras », d’où le titre de la pièce. À l’image des mantras orientaux, ceux du compositeur possèdent des qualités semblables. Par exemple, ils doivent être d’une bonne longueur et se répéter de façon cyclique dans le temps. Pour cette pièce, Laporte a utilisé exclusivement les sons générés par un compresseur de refroidissement des patinoires lors d’une prise de son unique. Toutes les modifications timbrales ont été effectuées lors de la prise de son, sans aucune manipulation en studio.
Jean-François Laporte est surtout connu pour ses instruments inventés. Il est fondateur, directeur artistique et général des Productions Totem contemporain (PTC), et ses œuvres sont éditées chez Les éditions Babel Scores.
Mantra
Cinéma pour l’oreille MKCD 028 2000
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Je ne pourrais passer sous silence les œuvres de ces compositeurs qui deviendront sans doute des incontournables de la musique électroacoustique du Québec dans quelques années : Champ de fouille de Martin Bédard, Transit de Louis Dufort, frequencies (a) de Nicolas Bernier, L’appel de Georges Forget… et la liste pourrait continuer.
Émilie Payeur
compositrice, interprète, artiste visuelle
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Article édité en collaboration avec la rédaction du site Cette ville étrange. Chronique de la création musicale. (www.cettevilleetrange.org)