C’est dans le cadre des rencontres internationales Montréal-Gaudeamus que l’ensemble la Machine s’est donné en concert le 11 avril, à la Chapelle historique du Bon Pasteur. La Fondation Gaudeamus, établie aux Pays-Bas, organise annuellement une semaine de rencontres d’ampleur internationale pour les jeunes compositeurs de musique nouvelle. C’est lors de cette semaine de renom, appelée Gaudeamus Muziekweek, qu’est remis à un compositeur méritant le Gaudeamus Prize, une prestigieuse récompense. Dans le but de créer et de développer des liens entre musiciens montréalais et néerlandais, l’organisme Innovations en concert et ses partenaires de la Chapelle historique, du Groupe Le Vivier et du Matralab ont collaboré avec cette fondation pour organiser une semaine de concerts et de conférences. Ainsi, le concert de la Machine était en quelque sorte l’événement de clôture de cette semaine, et on ne pouvait espérer mieux finir !
Quelques minutes avant le début du concert, toutes les places au parterre sont déjà prises. Plusieurs spectateurs durent opter pour le balcon de la salle. Marc-Olivier Lamontagne ouvrit le bal avec Mandala (2010) pour guitare seule, écrite par Maxime McKinley, compositeur en résidence à la Chapelle historique. La pièce est très belle, superbe même, et remarquablement bien écrite. Je ne peux m’étonner de la virtuosité exigée par la pièce quand je lis qu’il s’agit d’une commande du guitariste soliste Jérôme Ducharme. Bref, Lamontagne a des souliers bien larges à remplir… et il s’en tire bien ! Sa main gauche est agile, et il enfile les rythmes percussifs sur le corps de la guitare, les rasgueados et les pull-off, me rappelant les pièces de flamenco et le jeu guitaristique d’Amérique du Sud. Le guitariste accroche quelques notes malgré lui, et je me demande si l’écriture de certains passages ne demande pas une exécution plus féroce et un jeu de la main gauche plus mordant. La pièce se conclut avec un segment tout en harmoniques. Si la fin tire en longueurs et comporte quelques redites, elle demeure une berceuse fragile qui nous borde doucement dans un sommeil rêveur, conclusion merveilleuse. Les applaudissements sont chaleureux et le guitariste est rappelé sur scène pour une 2e ronde de saluts!
Sous leurs sonorités en apparence plus « contemporaine classique », les Cinq miniatures pour saxophone, alto et piano (2009) de Ryo Daïnobu sont en réalité un petit bijou de savoir-faire timbral centré sur les techniques de jeu des instruments. Après un dal niente de note tenue au saxophone (et un vrai en plus !), le violon émerge du silence pour se fondre avec la note en un sifflement ne dépassant pas le ppp. S’ensuit un jeu de dialogue et de questions-réponses où le saxophone jaillit des résonances du piano, où les pizzicati de saxophone laissent comme une traînée vaporeuse derrière eux, où chaque instrument fusionne avec l’autre. Le 3e mouvement est harmonieux, tout en douceur. Un moment fort de ma soirée. La cinquième pièce est un rappel de la première, histoire de boucler la boucle. Dans les légers bémols : le violon aurait pu être un peu plus fort, et le saxophone aurait pu l’être un peu moins. Mais au final, l’exécution est brillante. Ce soir-là, les interprètes se sont entièrement mis au service du propos de la pièce à laquelle ils ont fait honneur. Chapeau !
La première partie se conclut avec Fluctuations mécaniques (2014) de Cléo Palacio Quintin (photo de la une). Celle-ci voulait évoquer l’idée d’une Machine, reprenant le nom de l’Ensemble pour lequel la pièce avait été écrite. Certaines idées sont claires et réussies, le début et la fin sont poignants. Une grande importance était accordée à la guitare électrique fortement distorsionnée, un élément que je n’arrive malheureusement pas à apprécier dans la pièce. Entendons-nous ! À la fois guitariste, puriste et fan inconditionnel de death metal, je suis de ceux qui croient qu’avec la distorsion, il n’y a pas de compromis. La guitare doit être jouée fort, et le travail du tone doit être irréprochable. Malheureusement, on s’imagine qu’il est difficile pour un violon de rivaliser avec un ampli à lampes pleinement saturé. Le volume doit être baissé, ce qui donne à la guitare un son plus maigre, et la distorsion ne me procure pas la satisfaction ou le punch souhaité. Autre élément : l’éclectisme des sons était déroutant. L’ensemble et la compositrice se sont payé la traite avec des dive bomb à la whammy-bar, des sons électroniques sur bande, des mélodies d’Edith Piaf de boîte à musique et du noise produit en claquant la composante métallique d’un fil de guitare contre des pick-ups. Après la pièce, je faisais d’ailleurs part de ma confusion par rapport à la direction et la forme de la pièce. Quelqu’un me répondit que c’était justement la constante surprise et l’imprévisibilité de la pièce qui lui avait procuré une vive satisfaction durant l’écoute. D’ailleurs, la lecture d’un autre article sur le concert m’apprend que certains spectateurs trouvaient la guitare trop forte[1]. Au final, mea culpa. C’est une question de goûts…
Après un bref entracte, Yannis Kyriakides (photo ci-haut) propose Dreams of the Blind (2006), une pièce inspirée des rêves faits par des personnes aveugles. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une multitude de phrases un peu saugrenues apparaissaient à l’écran disposé derrière l’ensemble. Il s’agissait des procès-verbaux réalisés par des scientifiques sur ce thème. Une panoplie d’éléments vient me séduire, notamment des sonorités post-rock! J’ai une nette impression d’entendre Godspeed You ! Black Emperor dès les premières minutes, la voix de Marie-Annick Béliveau dans le 3e mouvement me rappelle Sigur Ros et les harmonies dans le 4e mouvement rappellent HRSTA. Le 2e mouvement est le plus réussi de tous, mais alors à m’en tirer des larmes. Marie-Annick Béliveau pousse des notes qui, mêlées aux sifflements des violons, me rappellent un cri sourd, muet, comme une sirène déchirante. Un fff d’intensité joué ppp que le chef invité, Bas Wieger, réussit à arracher à l’ensemble avec des gestes coupés au couteau, le tout d’une superbe clarté. C’est pratiquement dommage que le mouvement soit aussi beau, car il reste 3 mouvements à faire, et ils sont longs (!), d’autant plus que l’écriture est très stable, sans geste brusque. Les légères variations de l’écriture réussissent à garder mon attention durant les 35 minutes de la pièce, mais je sens monter une nette impatience vers la fin de la pièce.
Monumental était le terme utilisé par Innovations en concert pour décrire la programmation. Difficile d’utiliser un mot plus juste ! La Machine a offert une prestation magnifique, démontrant à tous ceux qui ne le savaient pas ce que signifie de « jouer ensemble ». Paraphrasant une « petite carte » de Danny Turcotte adressée à Hubert Reeves durant l’émission de Tout le monde en parle : « Si un jour on fait un clone de la Machine, j’en veux un. »
[1] Normand Babin, Les rock machine, publié le 12 avril 2014 sur le site Montréalistement. Adresse URL disponible sous le lien ci-joint.