André Ristic décrit volontiers sa musique comme un « genre de zapping-schuffle rythmé d’éléments puisés à une collection de phantasmes instrumentaux, qui se résout souvent par une sorte de self-cannibalisme de la pièce musicale elle-même, où l’une des idées musicales aura fini par dévorer toutes les autres »[1]. Qu’entendre à la lecture d’une formule aussi originale ? Le quatuor Molinari se joignait au quintette Pentaèdre pour nous en donner un aperçu puisqu’ensemble, ils ont créé vendredi dernier à la salle du Conservatoire de Musique de Montréal son dernier opus intitulé Variétés rupestres.
Au cœur de l’œuvre, le surgissement d’une idée engendrée par la visite d’un lieu archéologique au Monténégro (une des mères patrie de la famille Ristic), Crvena, une grotte habitée par l’homme pendant près de cent mille ans: vertigineuse durée et théâtre privilégié des théories de Darwin et de S.J.Gould. Ristic, dans un exercice intellectuel que la fascination emballe, juxtapose cette longue évolution humaine à celle, en apparence opposée mais qui selon une certaine littérature pédiatrique entretiendrait des éléments d’analogie pertinents, du développement mental du nourrisson jusqu’à la jeune enfance.
Variétés rupestres, comme dans « art rupestre », c’est-à -dire celui qui, comme à Lascaux, témoigne d’une expression à toute fin pratique inconsciente d’elle-même (enfantine, libre ?), campée dans la candeur d’une intention brute, Variétés rupestres dis-je, dessine des formes frustes dont la maladresse devient en quelque sorte le foyer d’une intention poétique.
Les « idées musicales très intuitives » et les « fausses musiques de chambre préhistoriques » dont parle Ristic dans sa note de programme sont organisées par la « mère » de toutes les formes, l’ABA. Dans le premier Allegro Marziale intitulé Variations sur un thème de Hanon, elles opposent assez nettement les deux familles d’instrument en investissant les cordes d’une écriture hétérophonique continue dont la densité engendre par endroit la perception d’une seule texture. Les bois, de leur côté (les deux familles sont aussi divisées sur la scène), ponctuent l’espace de motifs très simples, à chaque fois transposés dans leur répétition comme si se développait là une marche harmonique imaginaire et dysfonctionnelle qui n’est pas sans évoquer la « satyre satienne ». La saillance de ce phénomène est telle que très rapidement la rhétorique « détraquée » du discours devient le lieu privilégié de l’écoute. Et alors que le système des hauteurs devient de plus en plus proportionnel par l’utilisation d’une notation sans portée que l’auteur développe depuis déjà quelques années, la fluidité rythmique se voit quant à elle inopinément interrompue, évoquant par exemple la chorégraphie gauche et hilarante des tout premiers pas d’un enfant.
Plus imprécis encore, le second mouvement intitulé De l’alcool et des insectes alterne candidement entre une dense polyrythmie chromatique et des plans harmoniques quasi fixes qui, curieusement, tendent vers la hiérarchie du spectre naturel. Dans les deux cas, la pulsation, marquée Fluente, n’est pas véritablement perceptible. D’un côté, ce sont plusieurs pulsations qui s’entrechoquent alors que de l’autre, il ne semble tout simplement pas y en avoir. Mais alors que l’espace les séparant à l’entame du mouvement se rétrécit progressivement, une troisième voix rythmique s’affirme dans toute la force de son irrégularité.
Le final, de l’avis même du compositeur, « représente une sorte de danse sociale où les groupes tentent à plusieurs reprises et sans succès de s’entendre sur un rythme commun ». À l’instar d’une écriture rythmique qui acquiert ici une précision sans précédent, alternant répétitions et syncopes, l’articulation des hauteurs pointent pour la toute première fois vers des objets étrangement typés, nommément les mélodies d’un folklore imaginaire utilisant un tempérament micro-tonal et le balayage des harmoniques naturels, exactement comme on l’a déjà entendu dans Samarkand (cor français) ou encore Zipangu (cordes graves) de Claude Vivier… Enfin, difficile de s’abstenir d’y référer tant la chose est marquante. L’auteur évoquerait-il l’enfance à travers l’un de ses ambassadeur musical les plus notoires ? Veut-il souligner l’aspect rupestre de son œuvre ? Je m’arrête, les conjectures se bousculent.
L’œuvre de Ristic est rupestre à deux égards. D’abord, les sonorités qui s’en dégagent sont crues et sans alliage : la charpente qui en résulte n’est jamais enrobée de quoi que ce soit, elle manifeste au contraire la nature directe des individualités timbrales dans ce qu’elles ont de plus pur. Et, comme pour ces dessins de grotte, le détail des traits qui forme une représentation n’est pas « parfait ». Cela surprend, bien entendu, citoyens que nous sommes d’une civilisation qui farde tout deux fois plutôt qu’une. Mais c’est l’aura benjaminienne qui y est exprimée et qui dévoile la possibilité d’une sensibilité alternative, oubliée, enfouie et tout compte fait remarquablement troublante. Après l’expérience de la grotte, Ristic a en somme voulu nous offrir en musique l’intégralité du mystère porté par ses artéfacts millénaires. Vendredi 11 février 2011, Conservatoire de Musique de Montréal. Quatuor Molinari et Pentaèdre. Variétés Rupestres: 1- Variations sur un thème de Hanon ; 2- de l’alcool et des insectes ; 3- Cvrena Stijena André Ristic décrit volontiers sa musique comme un « genre de zapping-schuffle rythmé d’éléments puisés à une collection de phantasmes instrumentaux, qui se résout souvent par une sorte de self-cannibalisme de la pièce musicale elle-même, où l’une des idées musicales aura fini par dévorer toutes les autres »[1]. Qu’entendre à la lecture d’une formule aussi originale ? Le quatuor Molinari se joignait au quintette Pentaèdre pour nous en donner un aperçu puisqu’ensemble, ils ont créé vendredi dernier à la salle du Conservatoire de Musique de Montréal son dernier opus intitulé Variétés rupestres.
Au cœur de l’œuvre, le surgissement d’une idée engendrée par la visite d’un lieu archéologique au Monténégro (une des mères patrie de la famille Ristic), Crvena, une grotte habitée par l’homme pendant près de cent mille ans: vertigineuse durée et théâtre privilégié des théories de Darwin et de S.J.Gould. Ristic, dans un exercice intellectuel que la fascination emballe, juxtapose cette longue évolution humaine à celle, en apparence opposée mais qui selon une certaine littérature pédiatrique entretiendrait des éléments d’analogie pertinents, du développement mental du nourrisson jusqu’à la jeune enfance.
Variétés rupestres, comme dans « art rupestre », c’est-à -dire celui qui, comme à Lascaux, témoigne d’une expression à toute fin pratique inconsciente d’elle-même (enfantine, libre ?), campée dans la candeur d’une intention brute, Variétés rupestres dis-je, dessine des formes frustes dont la maladresse devient en quelque sorte le foyer d’une intention poétique.
Les « idées musicales très intuitives » et les « fausses musiques de chambre préhistoriques » dont parle Ristic dans sa note de programme sont organisées par la « mère » de toutes les formes, l’ABA. Dans le premier Allegro Marziale intitulé Variations sur un thème de Hanon, elles opposent assez nettement les deux familles d’instrument en investissant les cordes d’une écriture hétérophonique continue dont la densité engendre par endroit la perception d’une seule texture. Les bois, de leur côté (les deux familles sont aussi divisées sur la scène), ponctuent l’espace de motifs très simples, à chaque fois transposés dans leur répétition comme si se développait là une marche harmonique imaginaire et dysfonctionnelle qui n’est pas sans évoquer la « satyre satienne ». La saillance de ce phénomène est telle que très rapidement la rhétorique « détraquée » du discours devient le lieu privilégié de l’écoute. Et alors que le système des hauteurs devient de plus en plus proportionnel par l’utilisation d’une notation sans portée que l’auteur développe depuis déjà quelques années, la fluidité rythmique se voit quant à elle inopinément interrompue, évoquant par exemple la chorégraphie gauche et hilarante des tout premiers pas d’un enfant.
Plus imprécis encore, le second mouvement intitulé De l’alcool et des insectes alterne candidement entre une dense polyrythmie chromatique et des plans harmoniques quasi fixes qui, curieusement, tendent vers la hiérarchie du spectre naturel. Dans les deux cas, la pulsation, marquée Fluente, n’est pas véritablement perceptible. D’un côté, ce sont plusieurs pulsations qui s’entrechoquent alors que de l’autre, il ne semble tout simplement pas y en avoir. Mais alors que l’espace les séparant à l’entame du mouvement se rétrécit progressivement, une troisième voix rythmique s’affirme dans toute la force de son irrégularité.
Le final, de l’avis même du compositeur, « représente une sorte de danse sociale où les groupes tentent à plusieurs reprises et sans succès de s’entendre sur un rythme commun ». À l’instar d’une écriture rythmique qui acquiert ici une précision sans précédent, alternant répétitions et syncopes, l’articulation des hauteurs pointent pour la toute première fois vers des objets étrangement typés, nommément les mélodies d’un folklore imaginaire utilisant un tempérament micro-tonal et le balayage des harmoniques naturels, exactement comme on l’a déjà entendu dans Samarkand (cor français) ou encore Zipangu (cordes graves) de Claude Vivier… Enfin, difficile de s’abstenir d’y référer tant la chose est marquante. L’auteur évoquerait-il l’enfance à travers l’un de ses ambassadeur musical les plus notoires ? Veut-il souligner l’aspect rupestre de son œuvre ? Je m’arrête, les conjectures se bousculent.
L’œuvre de Ristic est rupestre à deux égards. D’abord, les sonorités qui s’en dégagent sont crues et sans alliage : la charpente qui en résulte n’est jamais enrobée de quoi que ce soit, elle manifeste au contraire la nature directe des individualités timbrales dans ce qu’elles ont de plus pur. Et, comme pour ces dessins de grotte, le détail des traits qui forme une représentation n’est pas « parfait ». Cela surprend, bien entendu, citoyens que nous sommes d’une civilisation qui farde tout deux fois plutôt qu’une. Mais c’est l’aura benjaminienne qui y est exprimée et qui dévoile la possibilité d’une sensibilité alternative, oubliée, enfouie et tout compte fait remarquablement troublante. Après l’expérience de la grotte, Ristic a en somme voulu nous offrir en musique l’intégralité du mystère porté par ses artéfacts millénaires. Vendredi 11 février 2011, Conservatoire de Musique de Montréal. Quatuor Molinari et Pentaèdre. Variétés Rupestres: 1- Variations sur un thème de Hanon ; 2- de l’alcool et des insectes ; 3- Cvrena Stijena