Philippe Leroux évoque souvent l’idée de translations afin de décrire sa musique. Plus précisément, de translations provenant de modèles techniques, analytiques ou encore conceptuels puisés à même la musique électronique. Ainsi, certains paradigmes propres à l’électroacoustique comme la spatialisation, ou encore certains concepts issus du traitement de signal comme le phasage, la synthèse additive ou encore le profil de formes d’ondes élémentaires vont venir enrichir une écriture instrumentale qui elle-même intègre parfois l’électronique.
Référant à Varèse, le compositeur est d’abord à la recherche d’une sonorité, d’un son. Ces sonorités, souvent obtenues par synthèse orchestrale, recourent fréquemment à la microtonalité ainsi qu’à différents outils d’analyse du son. Le compositeur procède entre autres à l’analyse de sons naturels ou encore de sons issus d’œuvres précédentes afin de tirer des données pertinentes à l’écriture instrumentale.
Philippe Leroux reconnaît aussi un aspect sémantique aux différents outils compositionnels qu’il développe. À titre d’exemple, le compositeur entrevoit que la simple possibilité d’inverser un son puisse avoir une incidence au niveau de la conception temporelle. Si la chose peut sembler à première vue curieuse, elle met en évidence le fait que le compositeur approche d’abord ses outils compositionnels sur le plan des idées.
Ces considérations techniques et sémantiques s’incarnent dans une écriture témoignant d’un solide savoir-faire. Un article publié dans le dernier numéro de la revue Circuit nous donne un éclairage privilégié sur cette question. Le compositeur y traite de la notion de continuité et de geste musical. Il questionne au passage la caducité d’une écriture musicale encore basée sur le développement traditionnel d’un germe mélodico-rythmique et suggère du même souffle une écriture reposant davantage sur le geste ou enfin sur différents profils d’énergie. En retour, cette conception de l’écriture rejaillit sur le plan des significations. Le compositeur établit ainsi différents liens entre une écriture reposant sur le principe de prolifération du matériau et le colonialisme: C’est peut-être le moment de comprendre le monde tel qu’il est, et non de tenter de le transformer pour qu’il se conforme à l’idée d’un fantasme d’ordre.[1]
Cette conception de l’œuvre comme d’un espace cinétique et gestuel à partager, n’est pas sans soulever par contre une autre question toute aussi fondamentale: que reste-t-il en nous d’une œuvre musicale ? Ses simples contours ? Cette interrogation nous amène en conclusion à commenter l’œuvre qui sera créée prochainement par le Nouvel Ensemble Moderne à la Salle Claude-Champagne le 12 octobre prochain : …Ami…Chemin…Oser…Vie…
En avril dernier, à peine un mois après qu’un tsunami d’une violence inimaginable ait frappé les côtes japonaises, un cerisier millénaire en floraison situé à proximité de Fukushima a attiré les foules par dizaines de milliers. Les sakuras, ces cerisiers ornementaux incarnent au Japon un symbole de renouveau, d’une nouvelle étape dans la vie. Dans le contexte que l’on connait, on peut comprendre que la floraison d’avril dernier était investie d’une portée symbolique encore plus bouleversante.
À l’instar du cerisier, tout, mais absolument tout, dans …Ami…Chemin…Oser…Vie… est investi d’une symbolique qui fait résonner les gestes musicaux au-delà de leur simple silhouette : les mélismes à la flûte ou au violoncelle symbolisant la colère face à la mort; une pulsation rythmique très lente et présente tout au long de l’œuvre, comme les pas lourds de celui qui sait qu’il va mourir; un violoncelle porté à l’horizontal comme on porte un corps; un dernier accord figurant un monde qui continue sans nous.
Il va sans dire que tout en étant déterminée par les outils compositionnels rigoureux mentionnés plus haut, …Ami…Chemin…Oser…Vie… est d’abord et avant tout une œuvre investie d’un caractère éminemment personnel. Il existe un mot en japonais, « Mu Jo » qui signifie qu’il n’y a aucun état qui soit fixe. Toutes les choses qui sont nées dans ce monde, vont disparaître un jour. Toutes vont continuer à changer sans rester.
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…Ami…Chemin…Oser…Vie…, Philippe Leroux Nouvel Ensemble Moderne, Salle Claude Champagne, 20h
[1] Leroux, P, …phraser le monde: continuité, geste et énergie dans l’oeuvre musicale in Circuit Vol 21-2, Les Presses de l’Université de Montréal, 2011
Philippe Leroux évoque souvent l’idée de translations afin de décrire sa musique. Plus précisément, de translations provenant de modèles techniques, analytiques ou encore conceptuels puisés à même la musique électronique. Ainsi, certains paradigmes propres à l’électroacoustique comme la spatialisation, ou encore certains concepts issus du traitement de signal comme le phasage, la synthèse additive ou encore le profil de formes d’ondes élémentaires vont venir enrichir une écriture instrumentale qui elle-même intègre parfois l’électronique.
Référant à Varèse, le compositeur est d’abord à la recherche d’une sonorité, d’un son. Ces sonorités, souvent obtenues par synthèse orchestrale, recourent fréquemment à la microtonalité ainsi qu’à différents outils d’analyse du son. Le compositeur procède entre autres à l’analyse de sons naturels ou encore de sons issus d’œuvres précédentes afin de tirer des données pertinentes à l’écriture instrumentale.
Philippe Leroux reconnaît aussi un aspect sémantique aux différents outils compositionnels qu’il développe. À titre d’exemple, le compositeur entrevoit que la simple possibilité d’inverser un son puisse avoir une incidence au niveau de la conception temporelle. Si la chose peut sembler à première vue curieuse, elle met en évidence le fait que le compositeur approche d’abord ses outils compositionnels sur le plan des idées.
Ces considérations techniques et sémantiques s’incarnent dans une écriture témoignant d’un solide savoir-faire. Un article publié dans le dernier numéro de la revue Circuit nous donne un éclairage privilégié sur cette question. Le compositeur y traite de la notion de continuité et de geste musical. Il questionne au passage la caducité d’une écriture musicale encore basée sur le développement traditionnel d’un germe mélodico-rythmique et suggère du même souffle une écriture reposant davantage sur le geste ou enfin sur différents profils d’énergie. En retour, cette conception de l’écriture rejaillit sur le plan des significations. Le compositeur établit ainsi différents liens entre une écriture reposant sur le principe de prolifération du matériau et le colonialisme: C’est peut-être le moment de comprendre le monde tel qu’il est, et non de tenter de le transformer pour qu’il se conforme à l’idée d’un fantasme d’ordre.[1]
Cette conception de l’œuvre comme d’un espace cinétique et gestuel à partager, n’est pas sans soulever par contre une autre question toute aussi fondamentale: que reste-t-il en nous d’une œuvre musicale ? Ses simples contours ? Cette interrogation nous amène en conclusion à commenter l’œuvre qui sera créée prochainement par le Nouvel Ensemble Moderne à la Salle Claude-Champagne le 12 octobre prochain : …Ami…Chemin…Oser…Vie…
En avril dernier, à peine un mois après qu’un tsunami d’une violence inimaginable ait frappé les côtes japonaises, un cerisier millénaire en floraison situé à proximité de Fukushima a attiré les foules par dizaines de milliers. Les sakuras, ces cerisiers ornementaux incarnent au Japon un symbole de renouveau, d’une nouvelle étape dans la vie. Dans le contexte que l’on connait, on peut comprendre que la floraison d’avril dernier était investie d’une portée symbolique encore plus bouleversante.
À l’instar du cerisier, tout, mais absolument tout, dans …Ami…Chemin…Oser…Vie… est investi d’une symbolique qui fait résonner les gestes musicaux au-delà de leur simple silhouette : les mélismes à la flûte ou au violoncelle symbolisant la colère face à la mort; une pulsation rythmique très lente et présente tout au long de l’œuvre, comme les pas lourds de celui qui sait qu’il va mourir; un violoncelle porté à l’horizontal comme on porte un corps; un dernier accord figurant un monde qui continue sans nous.
Il va sans dire que tout en étant déterminée par les outils compositionnels rigoureux mentionnés plus haut, …Ami…Chemin…Oser…Vie… est d’abord et avant tout une œuvre investie d’un caractère éminemment personnel. Il existe un mot en japonais, « Mu Jo » qui signifie qu’il n’y a aucun état qui soit fixe. Toutes les choses qui sont nées dans ce monde, vont disparaître un jour. Toutes vont continuer à changer sans rester.
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…Ami…Chemin…Oser…Vie…, Philippe Leroux Nouvel Ensemble Moderne, Salle Claude Champagne, 20h
[1] Leroux, P, …phraser le monde: continuité, geste et énergie dans l’oeuvre musicale in Circuit Vol 21-2, Les Presses de l’Université de Montréal, 2011